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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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163 à M. MaignenMLP. a la certitude que Dieu appelle M. Maignen. La vie de communauté ne se bâtit pas avec des affections humaines; il y faut des vues surnaturelles, la prière et la sainte charité. Ne pas s'alarmer de l'humilité des commencements; il s'agit de bien mettre les fondements en terre. Appel à l'amour fraternel: voir dans "la tendre charité de son frère, un don de Dieu."
Je m'attendais presque à recevoir de vous une petite lettre aujourd'hui, très cher frère, bien qu'il y eût peu d'apparence que vous dussiez m'écrire, puisque vous pouviez me croire en route pour retourner à Paris. Je n'espérais donc, à vrai dire, que parce que j'avais le besoin d'avoir quelques lignes de vous et qu'avec un certain nombre de suppositions, on trouve toujours moyen de se faire une espérance. Je suis encore ici pour deux ou trois jours; M. Myionnet, qui goûte beaucoup la pensée de vous emmener avec lui dans la petite excursion ou retraite qu'il a projetée, n'ayant pris ses dispositions que pour le courant de la semaine au plus tôt, m'a invité à ne pas hâter sans nécessité mon retour. Je ne serai donc à Paris que mercredi 16 dans la journée; je pense que j'y trouverai une lettre de vous. Jusque là, je n'aurai pas sans doute de vos nouvelles. Je souffrirais bien de ce retard, cher ami, si votre dernière lettre ne m'eût tranquillisé sur votre position et surtout sur l'état de votre esprit. J'y ai trouvé, au milieu des préoccupations toutes naturelles de votre cœur, un certain calme, une sorte d'assurance qui m'a semblé l'indice de l'opération de Dieu en vous. Or, c'est là ce que nous cherchons, cher ami, vous et nous qui vous aimons, c'est la certitude que le Seigneur vous appelle et vous veut avec nous. Cette conviction une fois bien acquise, nous pourrons souffrir sans doute des sacrifices qu'une grande résolution impose, mais en gémissant, et de notre propre peine et de celle des autres, nous aurons la paix au fond de l'âme, parce que nous y reconnaîtrons la volonté toujours tendre et toujours sage de notre Dieu. Sans cela, nous ne saurions trouver aucune sécurité ni repos de cœur. Nous savons par expérience que les plus tendres sympathies ne suffisent pas pour assurer la durée des affections, qu'elles ont au moins des inconstances ou fluctuations qui mêlent le trouble à leurs plus douces joies et font redouter l'avenir. Mais si, comme tout me le laisse maintenant espérer, cher ami, c'est vraiment une pure et sainte charité qui nous rassemble, si c'est l'esprit de zèle et de dévouement, le besoin de nous livrer à Dieu sans mesure, d'unir pour sa louange nos cœurs et nos voix, pour son service nos travaux, pour l'utilité de nos frères notre ardeur et nos efforts, oh! assurément notre existence est bien fondée, l'union se consommera en nous et s'affermira par la durée, car le Seigneur habitera parmi nous. S'il est vrai de dire qu'un fidèle, un homme en paix avec son Dieu offre l'union d'un corps, d'une âme et du divin esprit, il est également certain qu'une assemblée de véritables frères est aussi un corps et une âme unis intimement et divinement à l'Esprit; quelle merveille de charité, très cher ami, quel moyen puissant d'édification, quelle œuvre glorieuse et chère à Dieu. C'est à cela que son amour nous appelle; agrandissons nos cœurs, élevons nos esprits pour répondre dignement à une si grande vocation. Il n'importe guère que nos commencements soient petits, que notre vêtement, nos habitudes extérieures restent ceux du monde, que nos exercices n'aient pas une régularité absolue, nos œuvres une grande portée, si, avec un cœur droit et pur, nous mettons à la base de notre chère institution l'amour, le dévouement, le désir ardent et vrai de reproduire en nous le divin Modèle que nous aurons maintenant seul sous nos yeux, nous n'aurons pas travaillé en vain, tôt ou tard, notre œuvre sortira de terre, elle aura, comme celles que Dieu a bénies dans le passé, sa place, son avenir et sa mission. Les heures de découragement où vous m'avez vu souvent, cher frère, s'expliquent par le sentiment profond de notre indignité pour une telle entreprise; mais, si Dieu daigne nous prêter appui, ce serait trop de faiblesse de ne pas marcher avec Lui. Nous n'avons pas à travailler seuls, avec nos forces, avec nos mains, mais bien sous sa conduite, avec les moyens, les ressources, les lumières, les grâces de toutes sortes que sa Providence fournira; nous n'avons pas enfin à bâtir nous-mêmes l'édifice tout entier, mais uniquement, sans doute, à déblayer le sol, à mettre sous terre peut-être les assises oubliées qui ne verront guère le jour et n'auront de valeur que pour l'architecte divin. Cette tâche bien comprise doit grandement sourire à des âmes que le Seigneur aura touchées; une vie d'une beauté toute intérieure, une œuvre obscure et presque inaperçue, méprisée peut-être ou traversée153; pour seul appui la confiance au Dieu de charité et une vague lueur d'espérance et d'avenir. Oui, cette tâche est noble et belle, digne de cœurs fermes et mus par un grand amour, mais aussi quelle assurance ne veut-elle pas dans ceux qui l'acceptent que Dieu les agrée et reposera en eux. Mais encore une fois aussi, ne doutons pas trop de nous-mêmes quand, après un sérieux examen de notre cœur, vous, le frère et moi, nous aurons franchi le pas; sachons bien que l'œuvre de notre édification intérieure, l'amendement, la perfection de notre cœur ne seront pas le travail d'un jour, pas plus que l'oeuvre de nos mains, notre chère institution elle-même. L'impatience, les désirs trop empressés gâteraient l'une et l'autre entreprise; l'humble prière de chaque jour, le travail sagement soutenu, l'attente patiente et tendrement confiante devront être notre voie et seuls nous conduiront à notre fin. Vous me demanderez, très cher ami, si c'est vous que j'entends exhorter par ces pensées énoncées ici dans des prévisions que le Seigneur peut bien ne pas ratifier; non, mon bien cher enfant, ce n'est pas précisément pour vous conseiller, vous n'avez pas besoin de mes conseils, le bon Dieu parlera lui-même à votre cœur bien autrement que je ne le saurais faire; mais, en vous écrivant, il me semble que je cause tout simplement avec vous, comme nous l'avons fait si souvent dans ces longues promenades dont nous ne perdrons pas le souvenir; j'essaie de me rendre compte de notre position, des vues du Seigneur sur nous, de ce que nous devrons faire pour y répondre, et je le dis à vous, cher ami, sans y attacher d'autre importance, sachant bien que les prévoyances servent peu à ceux qui se sont abandonnés aux conduites du Seigneur et qui vont, jour par jour, où son souffle les pousse. ce me sera, croyez-le, cher ami, une douce consolation, un puissant encouragement de marcher dans ce chemin, côte à côte avec vous; mieux que jamais, nous nous soutiendrons et nous relèverons tour à tour, plus que jamais nous nous aimerons et nous nous donnerons l'un à l'autre, car chacun de nous verra dans la tendre charité de son frère un don de Dieu, une grâce pour se donner tout à Lui. Je suis bien affectueusement en J. et M. Le Prevost
P.S. Ne manquez pas de remercier encore le jeune frère pour nous et de l'assurer de notre sincère affection. Dites-moi quelle est votre position et si elle peut être gardée encore quelques jours. Priez pour nous, je ne dis pas si je prie pour mon bien cher enfant. Je vous écrirai à mon arrivée à Paris ou du moins dès que vous m'aurez écrit vous-même.
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153 "traversée", ancien français : contredite, contrariée, qu'on empêche d'agir. |
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