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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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164 à M. MaignenIncompréhension de la famille Maignen: Dieu et les pauvres n'ont besoin ni d'or, ni d'argent, mais de "votre cœur, de votre volonté, de vous-même". Pourquoi MLP. lui conseille de renoncer au sacerdoce. Entrer dans l'esprit de patience et d'attente de saint Vincent de Paul.
Je suis arrivé ici, très cher frère, mercredi comme je vous l'avais annoncé; je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai revu avec bonheur notre excellent f. Myionnet;vous savez quels sentiments nous unissent l'un à l'autre et combien notre petite famille, jusqu'ici si peu nombreuse, sent le besoin de se fortifier dans l'exercice de la vie commune; ce bon frère a bien voulu m'accueillir aussi comme si je valais quelque chose pour lui, tant il est vrai que ce ne sont ni les grandes qualités, ni les avantages d'aucune sorte qui attachent les hommes l'un à l'autre, mais bien la droiture du cœur, l'accord des volontés et par-dessus tout l'inspiration divine de la charité. Vous comprenez sans peine, cher enfant, que vous êtes bien vite trouvé en tiers avec nous et que vous étiez trop présent à notre pensée pour que notre premier mouvement n'ait pas été tourné vers vous; le jeune frère a donc été dès l'abord l'objet de nos tendres préoccupations et de notre plus chère sollicitude; nous avons parlé bien longtemps de ce qui le touche et nous avons aussi prié bien ardemment pour lui. Il n'était pas difficile de nous entendre sur le point principal, vous êtes trop affectionné par nous, cher ami, et vos sentiments ont trop de sympathie avec les nôtres pour que notre cœur ne s'ouvrît pas tout entier quand vous y demandez une place plus grande et plus intime encore que par le passé. Nous devions chercher seulement ce que nous avions à faire dans l'état des choses, pour concilier à la fois votre intérêt particulier, celui de notre œuvre et aussi celui de votre chère famille. Je pense comme vous qu'à vrai dire, tous ces intérêts n'en font qu'un et que tôt ou tard chacun le reconnaîtra; mais cette heure n'est pas venue et nous avons, en attendant, bien des ménagements à garder. La douceur et la persuasion jointes à une ferme volonté sont les seuls moyens qu'il convienne à vous et à nous d'employer; il faut les mettre en usage, comme vous l'avez fait déjà, afin de mieux éclairer, s'il se peut, l'opinion de vos parents. Ne jugeant rien qu'au point de vue humain, tenant pour rêverie et désolante illusion les sentiments d'abnégation et de dévouement qui vous font agir, ils sont surtout irrités de ce que vous n'aspirez pas au moins au sacerdoce qui vous assurerait encore une position respectable; ils sont blessés plus encore de ce que, vivant en commun et n'ayant plus rien qui nous soit propre, nous ne recevions de vous que votre jeunesse, votre travail, le sacrifice de vous-même, de votre famille et de votre position; aveuglés par un amour-propre qui ne sait plus rien apprécier justement, ils trouveraient la condition meilleure si, au lieu de tout cela, vous aviez à offrir un peu d'argent; ils ne comprennent pas qu'à nos yeux l'argent est de nulle valeur, puisque nous ne ferions rien avec lui; mais que ce qu'il nous faut à nous, avant tout et presque exclusivement, c'est ce que vous apportez, cher enfant, noblement et généreusement, non un peu d'or, quelques vêtements ou ustensiles, mais votre cœur, votre volonté, vos soins, votre pensée, vous-même en un mot, c'est de cela que Dieu et les pauvres ont besoin, c'est aussi ce que nous cherchons, nous autres, qui aspirons à les servir. Il ne faut guère espérer, cher ami, que les vues de votre famille puissent être changées sur ce point, mais vous pourriez, ce me semble, même en entrant dans ses idées, lui offrir quelques motifs qui ne seraient pas sans valeur. D'abord, M. Myionnet s'engage, pour donner satisfaction aux susceptiblités d'amour-propre, à obtenir pour la Maison des enfants un titre de sous-Directeur ou autre auquel seraient attachés, par la Société, des honoraires de sept ou huit cents francs au moins; votre position serait donc parmi nous très indépendante et humainement inattaquable. D'une autre part, en ce qui touche le choix que vous faites entre les divers chemins qui s'offraient à vous, votre famille ne fait pas assez attention que le parti auquel vous vous arrêtez est pour elle le meilleur et le plus satisfaisant de tous. Sans parler des difficultés, pour ne pas dire des impossibilités qu'il y aurait pour vous à commencer à votre âge des études, à suivre ensuite les années de théologie, sans moyens pour votre subsistance et votre entretien, durant une période de cinq ou six ans tout au moins, quels regrets n'auraient pas les vôtres si, plus tard, vous n'alliez pas persévérer; si vous arriviez, après avoir pris place au séminaire, après avoir revêtu l'habit ecclésiastique, à vous rebuter des difficultés, à changer de vues au moins et à rentrer dans le monde, vous n'y trouveriez qu'embarras et découragement. Avec nous, au contraire, une épreuve d'une année n'entraîne aucune conséquence pour votre avenir, ne fait aucun éclat, ne vous sépare du monde par aucune distinction apparente et décisive. Enfin vos parents ne songent pas non plus que, voulant décidément vous consacrer à Dieu, vous pourriez, comme vous me l'avez déclaré à moi-même, mettre entre les vôtres et vous une barrière infranchissable en entrant à St-Jean-de-Dieu, chez les franciscains, chez les Jésuites ou ailleurs. Représentez tous ces motifs à votre famille, cher ami, avec affection et fermeté tout ensemble, et vous ferez, je l'espère, quelque impression sur leurs esprits. La chose serait simple et toute probable, si vous n'aviez affaire qu'à votre excellente mère et à votre frère; éclairés par l'instinct d'une tendre affection ils comprendraient vite qu'il y a là quelque chose de juste et de vrai et que ceux qui vous aiment devraient s'estimer heureux de la décision sage et toute transitoire que vous prenez. Mais, vous le comprenez, les conseils qu'ils reçoivent les exaltent et les irritent, ils ont le contrecoup des passions que les choses religieuses soulèvent en certains cœurs et ils agissent sous une inspiration qui ne leur est pas propre. Néanmoins avec un peu de temps et de patience, le calme reviendra, je le crois, dans leurs âmes, l'affection prendra le dessus et votre cause sera gagnée. Votre frère est venu à la maison le jour même de l'arrivée de votre lettre; M. Myionnet ne lui a pas caché que vous étiez à Chartres, sans lui donner pourtant précisément votre adresse qu'il n'a pas demandée; Madame votre mère (ceci est un secret que vous ne devez point sembler connaître) est allée voir M. Beaussier et n'a pas absolument rejeté ses raisons, sans pourtant n'en montrer entièrement frappée. Les renseignements que nous avons eus ainsi constamment sur les dispositions de votre famille ont rendu inutile la visite que vous aviez demandée pour MM. Turqui et Desquibes. M. Beaussier pense que vous ferez sagement de ne guère le mêler à l'affaire, on ignore chez vous qu'il soit le Directeur de la Maison; tant qu'on ne le croit que votre confesseur, sa position est meilleure. Il désire aussi que votre famille soit bien convaincue que vous avez agi en dehors de toute inspiration extérieure et que nul de nous ne vous a conseillé, même indirectement. On m'assure que toutes les colères portent sur moi, je m'en réjouis dans la pensée que personne plus que moi n'est disposé à souffrir au besoin quelque chose pour vous, très cher enfant; mais je crois que, le premier moment de surprise et de douleur passé, on est aujourd'hui mieux disposé. J'aurais aimé voir votre bonne mère et votre frère, j'espère que mes explications les auraient peut-être un peu éclairés, mais je ne puis songer à les aller voir; je les accueillerai aussi bien que je pourrai, s'ils croient devoir me demander. Voilà, cher ami, l'état des choses, j'aurais pu m'abstenir de ces longs détails, car M. Myionnet partira pour Chartres lundi ou mardi, afin de vous voir et d'examiner avec vous si vous pouvez faire ensemble un peu de retraite. Tout cela gagnera du temps et servira à vos affaires. MM. Beaussier et Myionnet ont pensé qu'il y avait à cela un grand avantage, les cœurs ne pouvant que se calmer de plus en plus avec le temps et arriver à des pensées de conciliation. Nous entrons d'ailleurs ainsi, dès l'abord, dans l'esprit de patience et de douce attente de notre Saint Patron qui ne voulut jamais rien précipiter. Plus votre décision aura été libre, réfléchie, ferme à surmonter les obstacles, plus elle aura de valeur devant Dieu et à vos propres yeux. M. Myionnet s'est occupé avec beaucoup d'intérêt de votre pauvre Gabriel; il vous en entretiendra. Dites-moi, cher ami, je vous prie, l'adresse de M. Levassor à qui j'aurai besoin d'écrire; l'attend-on prochainement? Voilà mon papier, mon temps et aussi mes forces usés à vous donner, cher ami, tous ces détails sérieux et nécessaires et je n'ai plus moyen de répondre aux douces effusions, aux tendres épanchements de votre dernière lettre. Je n'en suis pas moins touché, cher enfant, continuez ainsi à répandre tout votre cœur dans le mien et soyez sûr que rien ne m'échappe et ne m'est indifférent; vous savez bien que dès longtemps nous avions l'un pour l'autre enlevé les portes de nos âmes, la mienne reste ouverte pour vous, entrez-y à toute heure pour peu ou pour beaucoup, il n'importe, vous serez toujours le bienvenu. Adieu, cher enfant; hier, MM. Myionnet, Nimier et moi, nous avons récité ensemble deux dizaines de chapelet, l'une a été expressément dites pour vous. Notre très sainte Mère aura vu les tendres désirs de nos cœurs et, les purifiant dans le sien, elle les aura, j'en ai la confiance, déposés aux pieds du Seigneur. Nous vous embrassons tendrement et moi un peu plus fort que les autres. Le Prevost
Bons et affectueux souvenirs à M. Mayer.
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