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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 101 - 200 (1843 - 1850)
    • 166  à MM. Maignen et Myionnet
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166  à MM. Maignen et Myionnet156

MLP. espère que leur retraite spirituelle les fera croître dans l'esprit religieux. Suites de la démission de Maurice Maignen de son emploi au Ministère de la Guerre.

 

Paris, 25 septembre 1846

Chers amis,

Je me réjouis beaucoup dans cette pensée qu'à l'heure où je vous écris vous êtes dans un lieu saint où tout édifie, porte au recueillement et ramène le cœur et l'esprit vers leur divine fin; notre f. Myionnet trouvera là un peu de ce doux repos dont il était si fort altéré, et l'autre jeune frère un peu de ce calme salutaire que de trop vives émotions lui ont rendu si nécessaire; puissiez-vous, très chers frères, en vous plongeant bien profondément en Dieu, goûter le rafraîchissement et la paix dont vous avez également besoin. J'ose espérer qu'en vous communiquant avec abondance tous les dons qu'Il réserve à la retraite, Il daignera garder une petite part pour le frère que vous avez laissé derrière vous; à votre retour, vous répandrez autour de vous le parfum de sainteté qu'on respire là où vous êtes et vous me transmettrez ce que vous aurez reçu; vous tempérerez nos habitudes trop extérieures et trop mouvantes par les retours intérieurs et la sainte présence de notre Dieu; enfin, chers frères, vous rapporterez pour vous et pour moi les grands principes, les saintes traditions de la vie religieuse, l'esprit, en un mot, qui nous séparera du monde et nous fondera dans l'état si haut auquel nous osons aspirer.

Je m'efforce, de mon côté, de me recueillir, autant que le permettent mes occupations, et je médite de mon mieux les obligations de notre nouvelle condition. Je suis avec un vif intérêt la retraite du p. Bourdaloue, que le f. Myionnet a lue et étudiée lui-même; je tâcherai, avec l'aide du Seigneur, d'en retirer quelque fruit.

Il ne s'est rien passé qui mérite votre attention au siège de notre petite Communauté.

M. Nimier est allé hier au dépôt de la Guerre avec la clef du f. Maignen et la petite lettre pour M. de Glaizal. Celui-ci a déclaré qu'il n'avait besoin d'aucune pièce, que le bureau avait toutes celles qui lui étaient nécessaires et que M. Frosté étant venu pour diriger le travail, la présence au Ministère de M. Maignen ne serait pas nécessaire comme on l'avait présumé d'abord. Le Général Pelet, auquel on a cru devoir demander permission d'enlever les quelques papiers qui pouvaient appartenir à notre cher frère, a répondu qu'il n'y mettrait pas obstacle, mais qu'il jugeait à propos que M. Maignen lui en fît directement la demande. Une lettre rédigée par ordre du Général, dans le premier moment qui a suivi la démission définitive de notre cher frère, et qui était restée dans les bureaux, faute d'indication pour la faire parvenir, a été remise à M. Nimier. Je ne la joins pas ici, à cause de sa forme administrative qui en rend le volume un peu trop lourd, mais il sera facile à notre ami d'en comprendre le sens, d'après quelques mots que j'énoncerai ici. Elle est assez rude, ainsi qu'il s'y était attendu. Le Général se montre surtout mécontent du brusque départ de M. Maignen, et plus mal satisfait encore qu'il ait paru tant désirer un emploi qu'il avait résolu depuis longtemps de quitter; il demande à quoi bon alors tant de démarches et d'instances, puisque le résultat devait durer si peu; il voit là une sorte de déloyauté et invite son employé à reparaître au plus tôt dans ses bureaux, s'il veut lui prouver qu'il n'a pas oublié les sentiments d'honneur et de probité. Ce dernier mot, d'une exagération évidente, a fait sourire un peu le bureau, a-t-on dit à M. Nimier. Du reste, le Général, en traitant de fou notre jeune frère, n'avait pas paru mécontent de la première partie de sa lettre, mais il a montré de l'irritation, à ce mot: détermination depuis longtemps arrêtée, et c'est sous cette inspiration qu'a été dictée sa lettre. Il serait facile de faire remarquer au Général que le départ de M. Maignen a été brusque, parce qu'il ne pouvait en aucun cas s'opérer autrement; à son âge, on ne combine pas à froid une séparation de tous ceux que l'on aime, un brisement de tous ses liens de cœur; dans un moment où l'on se sent fort, on quitte tout, sachant bien que le moment d'après on n'aurait plus assez d'élan. Il ne s'en suivait pas non plus de la détermination intimement arrêtée dans la pensée de notre ami qu'il dût demeurer constamment dans une position précaire et pleine d'incertitude; depuis trois ans, il était décidé à se donner à Dieu, sans que les circonstances lui eussent permis de suivre sa vocation; trois autres années pouvaient se passer dans la même attente; fallait-il donc qu'il demeurât inactif, sans rien faire pour assurer sa subsistance et pour suivre sa carrière? Enfin il ne saurait y avoir improbité ni défaut d'honneur à quitter un devoir pour un autre qu'on juge plus impérieux, quand d'ailleurs on ne compromet ni l'existence, ni les intérêts de qui que ce soit. Peut-être notre cher frère jugera-t-il à propos de répondre un peu dans ce sens au Général, en y mettant toute la déférence et toute la mesure que ses obligations envers son chef lui imposent, mais en montrant aussi le calme et l'assurance qui conviennent à ses sentiments. Il saura, mieux que tout autre d'ailleurs, en quels termes il doit répondre, puisque nul ne connaît aussi bien la nature de ses rapports avec son chef et le langage qu'il peut prendre avec lui. Une chose qu'il est essentiel que notre cher frère sache, c'est qu'à la demande de sa mère, son remplacement a été jusqu'ici suspendu et qu'il serait probablement encore libre, à l'heure qu'il est, de reprendre son emploi. Rien ne me donne lieu de croire qu'il en puisse être ainsi, mais si, contre mon attente, le sérieux examen qu'il va faire de lui-même devant Dieu, durant sa retraite, changeait sa résolution, il aurait les moyens de rentrer dans sa première condition.

J'hésitais à jeter ces pensées humaines au milieu du recueillement que vous établissez dans vos âmes, chers amis, mais quelques-uns des faits rapportés ici, le dernier en particulier, doivent peut-être entrer dans la balance des sentiments de notre jeune frère; le f. Myionnet, sous l'adresse de qui je mets cette lettre, jugera si elle doit être lue en tout ou en partie seulement au f. Maignen durant les jours de la retraite. Un ajournement jusqu'à sa conclusion n'aurait, je pense, qu'un mince inconvénient, le Général partant demain pour l'Italie, où on ne lui enverra, sans doute, ses correspondances qu'à de certains intervalles. Il sera bon que notre jeune frère ne néglige point le recouvrement des quelques papiers qui lui appartiennent. Tous ses anciens camarades de bureau l'assurent de leurs amitiés.

J'espère que le f. Myionnet, qui ne m'a point écrit, m'adressera une lettre après la retraite. Je me recommande bien instamment à ses prières et à celles de mon cher jeune ami; je me tiendrai aussi près d'eux qu'il me sera possible dans les divins Cœurs de J. et M.

Je vous embrasse bien tendrement l'un et l'autre, très chers amis, et suis

Votre affectionné frère en N.S.

Le Prevost

 

 





156 Adressée à: M. Clément Myionnet, à la Trappe, près Mortagne (Orne).





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