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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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178 à M. MaignenRappel du jour où M. Maignen, quittant tout, le rejoignit à Duclair: MLP. l'exhorte à renouveler devant Dieu l'offrande de lui-même. Avec délicatesse et fermeté, conseils pour que M. Maignen domine les ardeurs de son âme et sa vive sensibilité. MLP. veillera lui aussi à contrôler tout élan d'affection trop naturel. Confiance en Dieu dans les moments de découragement. Goûter la splendeur liturgique des Psaumes, "la voix du monde chrétien". Je vous ai écrit une première fois, cher ami et frère, une lettre commune pour vous et pour M. Myionnet; aujourd'hui, je m'entretiens particulièrement avec l'un et l'autre, me proposant de remplacer ainsi notre petite conversation du lundi au soir, et de provoquer aussi une lettre personnelle de chacun de vous. Je sentais le besoin, cher enfant de vous parler un peu seul à seul et de savoir, mieux que ne me l'a dit votre lettre, en quelles dispositions vous êtes. Je ne suis pas accoutumé à correspondre avec vous d'une manière si vague et si extérieure; j'ai éprouvé un sentiment pénible en lisant votre lettre et je n'ai pu m'empêcher de penser que la mienne méritait une autre réponse. Il est vrai, cher ami, que vous étiez bien fatigué et que vous m'avez promis de me dédommager prochainement; je ne me plains donc pas; j'étouffe un premier mouvement de peine et j'attends quelque plus aimable entretien de votre part. En me trouvant aux lieux où je vous ai vu l'an dernier, j'ai senti se réveiller les impressions qui m'ont si vivement ému à pareille époque et j'ai regretté de ne vous avoir pas près de moi pour repasser ensemble ces courtes heures dont j'ai gardé un si profond et si doux souvenir. Cette pensée ne vous est-elle pas venue aussi et n'avez-vous pas refait en esprit ce voyage qui a si fort influé sur votre vie? Je me plais à le croire, cher ami, et j'ai la confiance que vous vous êtes trouvé dans le même sentiment, dans la même résolution où vous étiez alors. Il n'y a pas longtemps, vous me disiez: "Loin de regretter la décision que j'ai prise, je serais disposé à la prendre encore, si j'avais à le faire, et je me confirme chaque jour dans la conviction que je suis où Dieu voulait que je fusse." Si, comme je le crois, cher ami, vous avez en ce moment la même inspiration, ne laissez pas passer cet anniversaire sans renouveler devant Dieu l'offrande que vous lui avez faite de vous-même. L'année qui vient de s'écouler n'a pas été sans travaux et sans quelques épreuves, mais elle n'a pas été pour vous sans joie et sans consolation. Remercions ensemble le Seigneur qui nous a si visiblement protégés, et bénissons-Le surtout de nous avoir appelés et choisis dans cette nombreuse élite de chrétiens qui nous entoure, pour opérer l'œuvre excellente dont il nous a chargés. Je m'unis, cher enfant, aux sentiments dont je sais votre cœur animé, j'offre à Dieu vos efforts, vos travaux, vos œuvres de cette année et je Le prie de les agréer comme les prémices de la vie de sacrifice et de dévouement que vous avez embrassée. Pour ma part aussi, très cher enfant, je me renouvelle dans les sentiments dont j'étais rempli à pareille époque, l'an dernier, j'ouvre bien fort mes deux bras et tout mon cœur pour vous accueillir encore au milieu de nous et vous assure une fois de plus de toute ma tendresse de père, de frère et d'ami. Je vois l'avenir avec confiance, j'ai la conviction que tout ce qui est bon en nous se confirmera et que l'imparfait ira s'atténuant; que la sphère chrétienne où nous respirons ira s'élargissant et que nos œuvres et nous-mêmes ensemble grandirons en proportion; tout est calculé aujourd'hui l'un pour l'autre, tout demeurera dans une même et heureuse proportion. Laissons faire le Seigneur dont le souffle nous a donné la vie et dont l'esprit nous donnera la force et l'accroissement. Ayez bonne espérance, cher ami, croyez en votre œuvre, parce qu'elle est de Dieu, en vos amis, parce qu'Il soutiendra leur faiblesse, en vous-même, parce que vous Lui avez livré votre cœur. Trop aisément, à la moindre épreuve, au moindre insuccès, au plus léger signe d'improbation, je surprends en vous le doute sur mes sentiments, sur les vôtres et sur tout; chassez ces suggestions décourageantes, surmontez des impressions qu'on ne peut empêcher, mais dont on se rend maître avec un cœur ferme et confiant. Pensez à tout ce que le bon Dieu a fait pour nous et dites-vous: s'il a été tant accordé à nos petits commencements, que ne nous sera-t-il pas donné dans le progrès et le développement de notre œuvre! Je reste ici fidèle à nos exercices ordinaires et c'est une joie pour moi de penser que de votre côté, vous êtes uni à moi par ces pieuses et salutaires pratiques; elles me soutiennent dans mon changement d'habitudes et de vie et me rattachent à vous malgré notre séparation. L'office m'est particulièrement un grand appui. Tant qu'on reste dans la vie ordinaire et privée, on a assez de la prière particulière et individuelle, mais si l'on franchit les degrés pour entrer dans une vie plus haute où l'on ne s'appartient plus, où l'on renonce à son existence propre pour embrasser la vie universelle, le devoir change, on prend en main la cause de tous, délégué pour ainsi dire par le monde, à un moindre degré que le prêtre, mais dans le même sens, pour adorer et glorifier Dieu. Alors les psaumes, ce chant si puissant, si immense, prêtent leur voix pour louer le Seigneur sur un mode qui réponde à cette grande mission. Les psaumes sont aux autres prières ce que l'orgue est au reste des instruments, ils sont la voix du monde chrétien, l'hommage des fidèles assemblés, la prière du religieux et du prêtre, en tant qu'ils sont les organes de l'Eglise et du peuple. N'est-il pas beau et glorieux pour nous, cher ami, d'être de ceux qui, tous les jours, ont à faire monter devant dieu cet hommage solennel d'adoration et d'amour. D'où nous vient cet honneur et comment l'avions-nous mérité? Répondons-y du moins par notre reconnaissance et notre fidélité. J'ai fait, en union avec vous, la commémoration du 3 septembre. Aujourd'hui, j'ai demandé la messe de mon bon Curé qui l'a dite à l'intention de votre père 160. Vous savez, bien cher ami, que je ne perds aucune occasion de m'associer à vos sentiments et à vos affections. J'aurais encore beaucoup à vous dire, car, vous le savez, je me sens aisément en effusion avec vous; mais j'ai à écrire aussi au f. Myionnet, et aussi quelques lignes pour m. Lecoin. Je termine donc cette lettre, du reste déjà bien longue. Faut-il vous dire, cher enfant, ne le verrez-vous pas, que si elle n'est pas plus affectueuse encore, c'est que je ne l'ai pas voulu, c'est que j'ai détourné ma plume, quand je la sentais s'amollir et tourner à quelque sentiment trop tendre. Vous n'avez pas cessé, bien cher ami, d'être mon fils bien-aimé, choisi entre tous, uni à moi par de tendres sympathies, comme par mille dispositions que le Seigneur lui-même a préparées; mais, vous le savez, dans la vie commune que nous avons embrassée, il a fallu refouler, sinon le sentiment intérieur, au moins l'expression trop sensible de cet attachement du cœur. J'en souffre souvent, parce qu'il est dans ma nature d'exprimer ce que je sens; j'en souffre surtout quand je vois entre nous quelques petits malaises ou malentendus qu'un serrement de main aurait vite dissipés; néanmoins, il faut, je le vois bien, qu'il en soit ainsi; en cas semblables, je prie un peu pour que mon bon ange aille vous dire au cœur ce que je n'exprime pas moi-même. Je le conjure en cet instant, cher ami, de veiller tendrement sur vous, de diriger vos affections, vos prières, de garder votre cœur comme un trésor afin de l'offrir bon, pur, aimant et généreux à l'amour de notre divin Seigneur. Je ne serai pas encore de retour près de vous au 8 septembre, ne m'oubliez pas ce jour-là et priez ensemble, le frère et vous, notre bien-aimée Mère; nous lui sommes, nous et nos œuvres, tout particulièrement consacrés. Je reviendrai, comme je vous l'avais dit, vendredi prochain 10, par le convoi qui arrive à Paris à 4h.10; je serai donc pour dîner avec vous à Grenelle. Si vos travaux ne vous amènent pas, cher enfant, dans le quartier St-Lazare vers 4h., je ne voudrais pas que vous fissiez exprès ce long trajet; si vous y étiez, au contraire, vous savez bien quelle joie j'aurai à vous embrasser; je regarderai un peu à droite et à gauche avant de monter dans le cabriolet que je prends pour me rendre à la barrière de l'Ecole161. Adieu, ami, je vous aime et vous embrasse tendrement. Le Prevost
Ne vous fiez pas sans réserve aux manifestations de Mme Lafond; j'ai de fortes raisons de garder beaucoup de mesure à son égard.
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160 Anniversaire de la mort de M. Maignen père, en 1843.
161 A cette époque, Grenelle n'était pas encore compris dans l'enceinte des murs de Paris, ce qui arrivera en 1860. MLP., par esprit de pauvreté, se faisait conduire seulement jusqu'à la barrière de l'Ecole Militaire, située à l'emplacement actuel de la statue de Garibaldi. |
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