186  à MM. Myionnet ou Paillé

Se détacher des beautés de ce monde. Revoir avec joie "notre pauvre petite demeure de Grenelle". MLP. exalte la tâche et la mission des Frères de St-Vt-de-Paul.

Duclair, 7 septembre 1848

Très cher frère,

Je vous ai dit que je vous écrirais quelques mots avant mon retour, pour vous marquer plus précisément le jour de notre arrivée. Nous partirons d'ici mardi dans la matinée et nous serons à temps à Paris pour dîner avec vous.

J'ai trouvé, comme vous me l'aviez dit, notre f. Maignen très fatigué; il a peine à marcher; quoique souffrant moi-même et bien épuisé, je suis encore plus fort que lui. Le bon air de ce pays lui fait grand bien et surtout la beauté de nos bois, de nos vallées le charme et le repose, mais il faudra vite quitter tout cela; nous autres, serviteurs de Dieu, il ne nous est pas donné de prendre possession des choses et d'en jouir comme d'un bien propre; nous les prenons en hâte et en aperçu, comme des voyageurs qui contemplent un moment de riches domaines ou de beaux paysages et qui passent outre, pressés d'arriver à leur but. Nous vous reviendrons donc, chers amis, non seulement sans regret, mais avec plaisir; nous reverrons avec joie notre pauvre petite demeure de Grenelle dont l'aspect n'est guère champêtre, dont les horizons sont bien bornés, mais où le calme et la paix se trouvent dans le recueillement, dans la prière commune et dans la tendre affection des frères.

Vous prendrez à votre tour un peu de repos, et après nous nous efforcerons tous ensemble de remplir la tâche si belle et si sanctifiante que le Divin Maître nous a donnée; prier, édifier nos frères, les assister dans leurs peines, relever leur cœur trop incliné aux choses d'en bas, quel plus noble emploi de notre vie! Je ne sais, quand j'y pense, comment bénir le Seigneur qui, de préférence à tant d'autres, daigne nous admettre à de si grands services. Soyons dignes d'un pareil choix, prenons une haute idée, non de nous-mêmes, mais de notre mission, et tout nous paraîtra beau dans nos humbles travaux, et tout nous paraîtra doux dans nos chers exercices. C'est dans ces pensées que je m'entretiens loin de vous; je tâche que, même mes jours de repos concourent à notre œuvre, et je reprends des forces pour le corps, de la résolution pour le cœur, afin de seconder mieux les efforts de votre charité.

Adieu, bien cher ami et frère; je m'unis tendrement à vous dans les Cœurs de J. et de M. et suis pour toujours

Votre frère dévoué                                                      

Le Prevost