193  à M. Pavie

Décès d'un de leurs amis, H. Nerbonne. V. Pavie prenant la direction de la conférence d'Angers, MLP. lui précise la mission qu'il doit remplir. Bénir Dieu de consacrer ses forces à la charité plutôt qu'à des intérêts purement humains.

Paris, 2 octobre, fête des S^ts Anges 1849

Très cher ami,

Je trouve, à mon arrivée d'un voyage que je viens de faire pour voir ma sœur qui avait été malade durant quelque temps aussi bien que sa fille, la lettre douloureuse que vous m'avez adressée. Vous n'en pouviez douter, cher Victor, vos désirs ont été aussitôt remplis, j'ai prié pour notre pauvre ami Nerbonne et j'ai demandé pour lui les prières de tous les amis qui m'entourent; c'est une dette qu'on est heureux ou au moins consolé d'acquitter envers ceux pour lesquels on ne saurait plus rien faire. Depuis bien des années déjà, il ne m'avait plus été donné d'entretenir de rapports avec notre cher Henry, mais ceux que j'avais eus dans un autre temps se rattachaient à trop de souvenirs pour n'être pas profondément gravés en moi. J'ai donc pu apprécier, cher Victor, tout ce que vous me dites à son sujet de profond et de touchant. Je sympathise vivement avec votre peine, et je sens à combien de titres elle est fondée. mais le dernier de tous, la conformité de foi, l'union de nos âmes en Dieu, porte en lui-même la consolation pour toutes les afflictions dont cette séparation vient vous frapper; comment se plaindre au Seigneur quand son amour a comblé le plus cher des nos vœux, quand il a orné, embelli, illuminé sous nos yeux l'âme qu'Il méditait de rappeler à lui? Ici les longues préparations n'étaient pas nécessaires, ou plutôt elles étaient faites de longue main par les déceptions, les dégoûts de ce monde, les souffrances du cœur, les langueurs habituelles. Plus qu'un autre, en effet, notre ami semblait exilé ici-bas; il n'y avait rien bâti avec joie ni confiance en l'avenir; il n'avait rien trouvé qui l'eût rassuré même pour un temps, il ne s'était pris à rien et n'attendait que l'heure du départ. Elle est venue, sans le surprendre et sans l'attrister sans doute. Ne nous contristons donc pas trop nous-mêmes, cher ami, aimons-le par le souvenir et surtout par le désir de nos cœurs déposé au Cœur paternel de Dieu.

J'apprends avec une sincère satisfaction que la direction de la Conférence d'Angers vous est confiée, elle vous revenait de droit et j'ai pleine confiance qu'elle ne sera pas sans résultat entre vos mains. c'est une belle mission, cher ami, que de stimuler les âmes au bien et de leur crier incessamment: Dieu le veut, aimons nos frères, consolons-les, secourons-les, portons-leur la lumière que nous avons reçue nous-mêmes et que nous pouvons toujours répandre en eux sans nous appauvrir jamais. Les années que j'ai passées à de pareils soins sont les plus chères de ma chétive vie. J'ai l'assurance qu'un jour aussi vous bénirez Dieu de vous avoir permis de consacrer à la charité plutôt qu'à des intérêts humains vos facultés et puissances dans toute leur force et leur maturité.

Adieu, très cher ami, souvenez-vous toujours que vous avez ici plus que des amis, de vrais frères. Aimez-les, priez pour eux.

[Le Prevost]

J'offre mon affectueux respect à votre chère femme. J'embrasse vous et vos petits enfants et l'excellent père. Souvenir à Gavard pour moi à l'occasion.