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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 1 - 100 (1827 - 1843)
    • 5  à M. Pavie
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5  à M. Pavie

Joie de l'amitié. Représentation de Marion de Lorme. Désir d'écrire un article sur la prière, mais pour le moment, sa faible santé le lui interdit.

 

Vendredi 2 septembre 1831

Votre lettre a bien tardé, mon ami, et toute part faite aux libres ébats en plein air, à l'oubli, pour quelques instants de tout ce qui n'est pas maison paternelle, ville natale, champs alentour, il y avait déjà plusieurs jours que je l'attendais, mais voilà enfin, qu'elle soit la bienvenue. Je la parcours à la hâte, et pour ne pas jouir en égoïste de ma joie, j'y convie par un mot notre ami Gavard qui bien vite est accouru et nous avons parlé de vous comme toujours, car je ne me souviens pas d'un entretien avec lui, où vous absent, ne soyez bientôt un tiers, non de convention ou de résolution prise, mais tout naturellement et parce que deux amis ont vite franchi tous les terrains vagues des conversations générales et par une pente insensible, comme à leur insu, reviennent aux sujets d'entretien intime, de confiance, d'abandon. Alors, s'il est entre nous quelque léger dissentiment, il arrive rarement que nous n'en appelions pas à votre opinion présumée pour juger nos débats; en ce cas, mon triomphe est presque toujours sûr, car toujours j'ai pris en main la cause que vous-même eussiez défendue.

D'autres fois nous vous regrettons à propos d'une promenade, d'une admiration à partager avec vous, d'une émotion d'art ou autre que votre présence nous eût rendu plus douce encore et ainsi toujours. C'est surtout dans la grande solennité, grande pour vous surtout, ami dévoué de M. Hugo, c'est surtout à la représentation de Marion que vous nous avez manqué et à bien d'autres encore, et à l'auteur, et à sa femme et à la pièce aussi, car les amis étaient bien disposés, l'assemblée brillante et nombreuse, l'œuvre pleine d'intérêt et d'admirables effets, et pourtant, que vous dirai-je, un certain froid, une sorte de gêne régnaient dans la salle; d'énormes longueurs (superbes assurément en autre lieu) y contribuaient sans doute, mais il manquait d'ailleurs à toutes les bonnes volontés une direction, une âme, un chef. On applaudissait, mais juste à point, pas avec entraînement, moins encore à tort à travers ni d'enthousiasme. Mais que cela, mon ami, n'afflige pas votre affection, les longueurs ont été supprimées et la pièce y a tellement gagné qu'elle marche maintenant en plein succès, fait chaque soir grande recette, est aujourd'hui à sa 19e représentation et sans doute en a plus encore dans l'avenir. Il n'y avait à la 1e  que peu ou point d'opposition, vers la 5e ou 6e s'en était élevée une des plus malveillantes où des plus grossières. Les actes étaient interrompus, une fois même on n'a pu achever la 4e, mais, c'était si évidemment une œuvre machinée par l'envie, que le public a fait justice. En deux jours, ce fut chose faite. La pièce bien sentie, bien comprise, applaudie avec un véritable élan en bien des endroits, partout bien écoutée, produit maintenant le plus grand effet. Mme Dorval est superbe, il y a vraiment des révélations continuelles dans ses poses, ses accents, ses gestes; vous verrez. Vous auriez eu sur tout cela un article pour votre journal, si M. Gavard n'eût été paresseux, il en avait commencé un, il promettait chaque jour de l'achever quand votre lettre est survenue, mais c'était trop peu avancé; lundi dernier, voyant qu'il en fallait désespérer, j'ai tenté moi-même à la hâte d'en faire un; mais un jour ce n'était pas assez. Je n'avais qu'un canevas à peine. Je n'improvise guère, puis la chaleur extrême m'a affaibli au point que ma tête s'en ressent. je suis las une heure après mon lever, j'ai besoin de sommeil; j'aurais fort risqué d'entraîner aussi nos lecteurs; il n'y aura donc rien là-dessus, mais pourquoi n'en feriez-vous pas sur l'ouvrage imprimé, si vous ne l'avez pas, c'est un vif plaisir qui vous reste avant de mourir. Pour moi, je ne pouvais revenir de tout le charme que j'y trouvais, neuf et frais encore après l'avoir entendu deux fois. Vos amis ont eu pour la première représentation chacun une place de galerie réservée et numérotée. Depuis je leur ai fait nouvelle et large distribution de billet: j'ai envoyé deux d'entre eux (des amis) à M. Hugo avec une lettre; enfin pour les satisfaire pleinement j'en réclamerai encore; êtes-vous content de moi?

 

 

Résidence des Hugo rue N.D. des Champs                                  Je suis allé hier exprès rue Jean Goujon14  pour voir tout le monde et vous donner nouvelles fraîches; mais chaque soir M. Hugo est au théâtre. Mme s'était couchée et sa porte était défendue; elle va bien néanmoins et les petits enfants aussi, et, jusqu'à M. Paul que j'ai vu hier tout fleuri de santé, bien pressé comme de coutume et pour ce ayant fort négligé sa toilette. J'ai reçu de notre ami Mazure une lettre écrite en hâte sans doute et dans une heure de distraction, car de sa femme, de son ménage, de tout ce qu'il y a de nouveau dans sa position, pas un mot; excellent homme, il avait oublié tout cela. A propos de choses singulières, il est arrivé encore une sœur chez M. Gavard douce et bonne comme les autres, j'en jugerais mais avec le nez le plus curieux qui se puisse imaginer, il est pointu et se recourbe comme un cou de cygne vers la bouche. Je vous écrirai, mon ami, un autre jour, une lettre moins délayée et moins vide. Je vous l'ai dit ma tête est fatiguée; dès que je serai remonté un peu, je veux aussi faire quelque chose pour le petit journal. J'aurais eu, ce me semble, aujourd'hui encore, mille choses à dire, mais je n'ai pas de place et je cause mal. Adieu donc, à une autre fois. Il faut aimer ses amis même malades. Aimez-moi encore plus qu'à l'ordinaire. Il faut présenter mes souvenirs respectueux à M. votre père et parler de moi aussi à votre frère, puis à M. Cosnier nous sommes amis maintenant.

Léon Le Prevost

 

Je vais m'occuper du tableau.

 

 





14 Jusqu'en 1830, Hugo habita au 11 de la rue Notre-Dame-des-Champs. Après le triomphe d'Hernani, comme l'appartement ne désemplissait pas, les propriétaires, gens calmes et sans histoires, ne purent leur renouveler le bail. Les Hugo trouvèrent à se loger du côté des Champs-Élysées, dans un hôtel qui "se dresse comme un défi au milieu des terrains vagues". A l'époque, les Champs-Élysées n'étaient pas à la mode et ses riches demeures pas encore construites!





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