235  à M. Decaux

Bons offices de MLP. pour le projet de mariage de son ami. Il l'exhorte à se donner à Dieu et aux oeuvres. Paix et joie du don total.

Paris, 3 octobre 1852

Très cher ami et frère en N.S., M. Givelet était sorti, je n'ai rencontré que M^me Givelet; elle est à votre égard dans toutes les dispositions que nous lui pouvions désirer pour s'

occuper avec un zèle ardent et sincère de la grande affaire dont vous m'avez entretenu; elle fera tout ce que vous désirerez en cette occasion, et, si la chose dépendait d'elle, elle serait déjà réglée. Elle m'a paru craindre néanmoins que ces dames ne fussent un peu plus mondaines que vous ne le croyez et pas à la hauteur de pensées, peut-être, qui leur ferait mettre par-dessus tout les seuls avantages qui méritent d'être estimés: le cœur, l'esprit, une noble énergie de la volonté. Elle ne perd pas pour cela courage et, au passage de ces dames à Paris, elle entamera l'affaire. Je suis convenu avec elle, sauf votre avis, qu'elle prendrait comme d'elle-même l'initiative sans vous mettre en avant, afin de sonder les dispositions et de voir comment la pensée en elle-même se présenterait à l'esprit de ces dames; elle aurait l'intention à cette fin, comme on ne manque jamais de lui rendre compte des visites qu'on a reçues à la campagne, de faire remarquer que les vôtres sont assez fréquentes et de demander si on ne croit pas qu'elles cachent quelque secrète pensée. Elle croit qu'ainsi elle verra quel accueil une proposition directe pourrait recevoir.

Mettez bien tout cela, cher ami, aux mains de Dieu, afin qu'Il dispose de vous selon sa sainte volonté.

Il m'est revenu dans l'esprit, après votre départ, que vous hésitiez encore un peu entre Dieu seul et Dieu avec le monde; oh! s'il en était ainsi, si je ne m'étais pas trompé, cher ami, Dieu, Dieu seul, Dieu pour unique partage est bien sûrement le meilleur et, pendant qu'il en est temps encore, pendant que vous avez un sacrifice probable à lui offrir, soyez courageux, choisissez Dieu; Lui seul, j'en suis convaincu, peut donner la paix et le rassasiement à une âme aimante et généreuse comme la vôtre; Lui seul épargnera à votre cœur impressionnable et tendre les mille déceptions que les affections terrestres lui ménagent. La Providence semble vous préparer les voies en vous déchargeant de la tâche que vous avez si longtemps remplie; votre dette semble acquittée, et libre de vous-même, vous pouvez offrir au Seigneur les dons qu'Il vous a départis et qui peuvent si grandement être employés à son service. Une fois engagé dans une autre voie, croyez-le bien, vous serez forcément enlevé aux œuvres, aux pauvres, à vos chers patronnés; qu'il serait beau, et qu'il serait bon pour vous aussi de les préférer à tout, de leur consacrer votre vie; croyez-vous que Dieu se jetant tout dans votre cœur, ne saurait pas vous payer et remplacer les pauvres petits biens que vous lui auriez immolés?

Je n'insiste pas; le divin Maître en aura bien plus dit à votre âme sur ce point que je ne vous en pourrais dire; j'ai pensé seulement que notre expérience ne devait pas être perdue pour vous, et que, séparés du monde depuis plusieurs années, nous devions vous avertir que la paix et la joie ne commencent pour l'âme qu'au jour où, quittant tout, elle se perd toute au sein de Dieu.

Que je serais heureux, bien affectueux ami, si cette parole jetée au hasard répondait à votre cœur; combien j'aimerais à devenir de votre ami votre frère, et à m'unir à vous pleinement en Dieu et dans sa divine charité!

Croyez-moi, quoi qu'il arrive, bien cordialement à vous.

Le Prevost

P.S. Si vous aviez quelques instructions à me donner, je serai jusqu'à 9h.½ rue de l'Arbalète demain matin; de là, j'irai rue du Regard, et, après le Conseil général, je me rendrai à Grenelle pour préparer ma retraite qui commence mardi matin.