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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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6 à M. PavieMLP. veut se garder de toute fièvre politique. Combien l'amitié est une chose sainte devant Dieu. Nouvelles de la famille Hugo. Le journal L'Avenir. Le procès de l'enseignement libre. Les discours de Montalembert et de Lacordaire lui rendent toute sa foi. Il se reproche sa façon d'écrire. Comment il juge la vie politique et sociale en Europe.
Où donc êtes vous, mon ami, qu'on ne vous entend plus? au haut d'un mont avec les aigles, ou au fond d'un val avec les taupes? S'il en est ainsi, descendez ou remontez un peu car moi, homme de la plaine, je veux causer avec vous. N'imaginez pas au moins que je fasse ici une allusion politique. Dieu m'en préserve. J'en suis là au contraire, que j'ajouterai volontiers aux Litanies cette demande: "De furore politicorum, libera nos, Domine!" comme autrefois on disait au vieux Paris, Normanorum; mes amis et moi sommes convenus qu'une si fastidieuse chose ne se mettrait plus entre nous et dans le reste de Paris, sans convention, il en est ainsi à peu près pour tout le monde et cela se croit aisément, n'est-ce pas, plein jusqu'à la gorge, on ne peut plus manger. En province on n'en est pas là, il paraît: viennent de me tomber ici quelques bons Dieppois à moi connus. C'est vraiment curieux de les voir dévorer avec avidité les mets les plus grossiers en ce genre. J'en étais effrayé. Quel appétit! Et vite, mon ami, vous me demandez: que faites vous maintenant que vous voilà délivré. Hélas! l'odieuse politique, voyez-vous, c'est une fièvre. Tant qu'elle dure, on n'a qu'une vie factice d'éréthisme et de bouffissure; l'accès passé, on retombe pâle, exténué, vide, impuissant, on ne sait pas même vouloir ni regretter, ni avoir un désir. Oh! heureux homme qui avez échappé à toutes ces phases de la maladie, à qui l'air des champs a d'un coup rendu fraîcheur et vie: oh! que je vous vois bien la tête haute, l'œil animé, ou plutôt comme on le devient à la longue en présence de la nature, face à face avec l'infini, calme, posé, revenu pour ainsi dire; les bras croisés et regardant passer. Du moins, mon ami, pensez-vous à nous au milieu d'un pareil bonheur? Avez-vous un souvenir, un regret? Vous manquons-nous? Gavard qui jamais ne jouit en repos de rien, de temps en temps me demande: "Croyez-vous que Victor nous aime réellement?" Et moi, invariablement je réponds: je le crois. N'allez pas me faire mentir au moins, à vous en serait la peine devant Dieu. Oui, devant Dieu, l'amitié est vraiment sainte. Tout sentiment profond, généreux, dévoué est un élan vers Dieu et j'ai toujours de pareils mouvements en pensant à vous. Un autre ami à vous, M. Hugo, est à la campagne comme vous, depuis quelque temps. M. Foucher Paul que j'ai rencontré m'a dit que sa sœur était à la campagne aussi, toujours souffrante; elle était bien changée en effet, quand je la vis pour la première fois. Vous avez connais-sance sans doute de cette vilaine affaire de M. Hugo avec son libraire15; les gens de bonne foi et de sens savent bien lui rendre justice, mais les sots et ceux qui parlent par ouï-dire font autrement; je n'y vois pas grand malheur. Je soupçonne pourtant que M. Hugo en a du mécontentement et de l'ennui. Si vous lisez peu les journaux, cette misère vous aura échappé peut-être; cherchez dans la Gazette des tribunaux de ce mois. Puisque nous parlons journaux, l'Avenir16 va bien; il a des moyens de subsister pour un certain temps. Paraît-il chez vous? Y avez-vous lu le procès de l'Ecole libre17 devant la chambre des Pairs? Les discours de MM. Montalembert et Lacordaire, l'admirable chose! Cela me rend toute ma foi. Si cela n'est pas à Angers, si vous n'avez pas l'Avenir, dites-le moi, je vous enverrai par M. Leclerc, votre correspondant, le procès de l'Ecole libre; il a dû paraître ces jours-ci en brochure. Il est un tout petit peu question de m'envoyer hors de France, mais si vaguement encore qu'il ne vaut pas la peine de vous en parler aujourd'hui. Personne ne sait mieux que moi remplir trois pages d'une lettre sans rien dire. Je me trouve toujours surpris d'être arrivé au bout quand je suis encore au préambule; mais il faut en prendre son parti, ce qu'il y a d'un peu passable en moi, quant aux idées et aux sentiments est si confus, si loin placé; je dirais presque de moi, c'est un trou noir, sinon profond; qui sait? au fond peut-être, il y a quelque chose; seulement au-dessus, vers le bord, incessamment s'élève un petit brouillard de babillage, de mots fluides, vapeur légère qu'un seul rayon de jour pénètre et dissipe aussitôt. Cela ne ressemble pas mal à une comparaison avantageuse; c'est qu'ici encore je dis mal ce que je prétends dire et ainsi toujours. Vous ne tiendrez compte de tout cela et me ferez, n'est-ce pas, une réponse bien compacte, à lignes bien serrées; il y a bien aussi quelque excuse à moi de dire si peu en tant de mots, il y a si chétive vie autour de nous; qu'est-ce donc qui vit autour de nous? Qu'est-ce qui a une âme? Notre histoire, notre politique, notre littérature, nos arts; non, la vraie vie n'est à rien de tout cela, mais du moins est-elle ailleurs? En Allemagne peut-être, mais pas complète, pas de corps et d'âme; en Russie, je ne sais pas, il fait trop froid peut-être, le sang ne circule pas. En Angleterre, il n'y a pas non plus force et vigueur. Tout bien considéré donc, notre pauvre Pologne égorgée18, rien ne vit plus en Europe. Vous avez rugi, n'est-il pas vrai, à l'annonce que Varsovie était morte; il y avait bien de quoi: c'était le dernier soupir d'un ancien monde; un nouveau monde renaîtra sans doute, mais que de jours encore passeront dans les ténèbres, combien de peines et de sueurs, et peut-être de sang coûtera l'œuvre nouvelle. Il me semble que je vous ai déjà dit tout cela; je baisse visiblement. Je mets ici simplement les noms de M. votre Père, de votre frère, de M. Léon. Ce sont des notes, vous en ferez un chant. Adieu, arrivez vite, au revoir bientôt. Quand? On voulait 8f. pour emballer votre Bonaparte. C'était trop; avec le port cela devenait extravagant: vos ordres pour cela. |
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