M. Vince accueilli à Amiens; regret de s'en être séparé.
Nécessité de l'oraison et du recueillement: porter "Dieu avec vous au fond du coeur".
Règlement particulier et esprit intérieur; fixer régulièrement l'heure du lever
et du coucher. L'esprit de charité est l'esprit de la famille de MLP.
Vaugirard, 11
février 1855
Bien cher enfant en N.S.
Votre petite lettre nous a bien consolés, nous avions
besoin de recevoir des nouvelles d'Amiens, quoique nous ne dussions pas
raisonnablement en attendre si tôt. C'est vous dire, bien cher ami, qu'en
acceptant le sacrifice de notre séparation, nous ne laissons pas d'en sentir la
peine; le Seigneur n'en est point offensé; il nous demande seulement de faire
passer par dessus ces impressions du cœur sa très sainte volonté, sa gloire,
son service; nous y sommes très disposés, tout donc est dans l'ordre et dans
l'esprit de notre divin Seigneur. Tous nos frères ont été heureux des détails
que je leur ai rapportés d'Amiens208; le bon accueil qu'on vous a fait,
les conditions si satisfaisantes de votre maison, les appuis bienveillants que
tant de Confrères dévoués vous donnent, tout a paru à nos frères constituer un
ensemble de circonstances tout providentiel et qui manifeste bien la protection
que dieu daigne vous accorder. Ayez donc bonne confiance, très cher ami,
abandonnez-vous à la conduite de cet adorable Maître et soyez assuré que si,
dans les premiers temps, vous avez quelque difficulté à concilier avec vos travaux
des exercices dont vous sentez le besoin, vous en trouverez un peu plus tard
les moyens; ayez patience, mettez votre désir aux pieds du Seigneur, tendez
doucement et persévéramment aux fins qui vous paraîtront désirables et vous y
arriverez en temps opportun. Je pense avec vous que nous ne pourrions nous
soutenir sans un peu d'oraison, de recueillement aux pieds du divin Maître, de
nourriture spirituelle en un mot; mais il n'est pas mal que vous en soyez
momentanément privé pour en mieux sentir le prix et vous montrer ensuite bien
fidèle à en profiter quand ils vous seront rendus. N'oubliez pas d'ailleurs,
très cher ami, qu'en toute occupation et situation quelconque, vous portez Dieu
avec vous au fond du cœur; l'y chercher souvent, l'y adorer cœur à cœur,
reprendre votre force en Lui est un doux et facile exercice qui repose et
vivifie; avec cela, vous ne défaillerez point dans le chemin.
Je crois assez bien disposé l'ordre de votre
journée tel que vous me l'indiquez; marchez provisoirement ainsi, peu à peu
vous tomberez dans le moule qui vous convient et vous y prendrez votre forme;
pour cela, il faut rester un peu souple et n'avoir point de volonté trop
arrêtée sur des points de détails; gardez seulement et bien précieusement le
fond qui est l'esprit intérieur, la dépendance constante de la grâce, le
dévouement sans réserve à Dieu et aux âmes.
Je crois qu'il est bien essentiel que notre f. Caille et
vous avisiez à fixer régulièrement l'heure du coucher et du lever, sans cela
vous n'aurez rien d'ordonné dans vos journées; car, si le commencement et la
fin ne sont pas déterminés, comment le milieu le serait-il? Puis, vous vous
exposeriez ainsi à n'avoir pas le temps de sommeil indispensable. Votre santé,
votre sanctification, vos œuvres en souffriraient également. Sept heures au
moins, pleines et complètes, sont nécessaires; je prie mon bon f. Caille d'y
veiller attentivement.
Je vous recommande, très cher ami, de nouveau, d'être
bien cordial, bien ouvert avec votre bon f. Caille; il est plus âgé et plus
expérimenté que vous, il faut que vous ayez pour lui une affection
respectueuse, déférente et toute douce et confiante en même temps; il faut
aussi que vous soyez bien bon, bien encourageant pour notre cher petit f.
Thuillier qui vous rendra bien aisément charité pour charité. Je vous prends à
témoin que c'est là l'esprit de notre petite famille à Vaugirard, il faut qu'on
le retrouve à Amiens plus fort et plus parfait encore; autrement, nous
dégénérerions dès les premiers pas, ce serait un signe que nous n'irions pas
bien loin. Je vous dis toutes ces choses, cher ami, en manière d'épanchement
plutôt que de conseil, car vous en êtes convaincus comme moi et vous n'avez pas
moins à cœur que moi de garder la vie de notre chère œuvre.
M. Lantiez vous fera un petit coutumier, bien qu'il
prétende que vous savez autant que lui l'ordre de nos prières et exercices.
Faites-en un petit relevé provisoire, en attendant qu'il vous prépare celui que
vous lui demandez.
Vos trois lits étaient commandés quand votre lettre est
arrivée; je ne pense pas qu'on les ait faits en autre forme que ceux qui sont
ici à l'infirmerie; mais M. Myionnet pense que votre élargissement de
l'entourage n'eût servi qu'à vous faire des lits de forme démesurée sans vous
donner un espace suffisant pour n'être pas gêné par les rideaux lorsqu'on met
ses vêtements.
Le f. Maignen a fait sans retard votre commission pour
votre pauvre recommandé; il a eu quelque petit mérite en cela, car il était ces
jours-ci jusqu'au cou dans les apprêts de sa distribution qui a lieu ce soir;
nous y allons tous, sauf ceux qui doivent garder la maison. On a payé 20f pour le voyage; je les ai
avancés. Le petit f. Ernest Vasseur restera aussi. Il va très bien de cœur et
d'esprit et s'est accoutumé sans nulle difficulté à son nouvel état; mais,
depuis trois jours, il a été retenu au lit par une fièvre assez forte; enfin
aujourd'hui une éruption s'est manifestée; il a la même indisposition qu'ont
eue les ff. Hello et Thuillier; il est bien aujourd'hui, mais il faudra que
cela suive son cours; c'est un petit tribut d'épreuve envoyé par le bon Dieu;
le petit frère prend très bien cela, il en sortira meilleur.
Adieu, bien cher ami, tous les frères vous embrassent
comme vous savez qu'on le fait ici, de tout cœur et en N.S.
Votre ami et Père
Le Prevost
Offrez mon respect à M. l'abbé Cacheleux; il me semble
tout dévoué au bien, je crois que son cœur sera avec vous et qu'il vous
soutiendra beaucoup. Assurez aussi nos amis de notre tendre affection.
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