Nouvelles de sa santé, toujours languissante. Souffrance
d'être éloigné de ses frères et de ne pouvoir travailler avec eux. MLP. les recommande à son ami. Sollicite son
aide pour Nazareth.
Le Vernet, 3
décembre 1855
Très cher Confrère et bien bon ami,
Je pense que mes frères, répondant à mon désir plusieurs
fois exprimé, vous auront déjà donné de nos nouvelles; je me donne toutefois la
satisfaction de vous écrire quelques lignes, afin de vous assurez de nos bons
souvenirs et de notre constante affection.
L'éloignement considérable qui nous sépare, le f. Paillé
et moi, de nos amis, de nos œuvres, du centre ordinaire de notre vie, m'est un
peu pénible à porter; mon f. Paillé est en santé, et d'ailleurs il est ici par dévouement,
ma compagnie a été pour lui une œuvre de charité; pour moi, languissant et
presque impropre à tout, je sens plus vivement les rigueurs de l'exil. Et
pourtant, bien cher ami, je dois le dire, le Seigneur est si bon qu'Il me tient
calme et soumis sous sa main, attendant en patience la manifestation de son
adorable volonté. Je suis privé presque entièrement des secours spirituels que
je trouvais en si grande abondance dans notre petite communauté de Vaugirard,
mais je tâche de me réfugier dans le Cœur du divin Maître pour y trouver, comme
à la source, les puissances de vie qui ne m'arrivent que goutte à goutte
extérieurement. Quant au corps, l'air des montagnes si pur en ce pays et la
chaleur du soleil qui, jusqu'ici brille presque tous les jours, commencent à me
rendre un peu moins faible; mais nous entrons dans les jours les plus rigoureux
de la saison; on les sent moins ici qu'ailleurs, mais pourtant ils ne passent
point inaperçus. Le médecin m'avertit donc que, jusqu'à la fin de janvier, il
peut empêcher le mal de ma poitrine de s'aggraver, mais qu'il ne saurait avant
février me promettre de ce côté de mieux appréciable; je souffre peu; seulement
parler m'est presque interdit et respirer est déjà un travail suffisant pour
mes poumons lassés. Le fond de mon mal est une grande fatigue des
organes et un épuisement général plutôt qu'une lésion bien sensible; je suis
ici dans les meilleures conditions pour ménager le reste de vitalité qui est en
moi et pour attendre une réfection de mes forces, s'il plaît à Dieu de la
donner; tout est donc pour le mieux, on ne pouvait tirer meilleur parti de ma
chétive personne.
Voilà un bulletin en règle, très cher ami, mais
qu'attendre d'un malade, sinon de complaisantes et minutieuses explications sur
son mal; c'est le droit du métier, j'en use un peu trop peut-être à vos dépens.
Je n'échappe pas non plus ici à la préoccupation de nos
œuvres; j'avais pour cet hiver une belle et rude besogne toute taillée, je l'ai
laissée tout à mes pauvres frères déjà bien chargés de leur propre tâche; je
souffre de leur laisser tant de peine. Je suis bien assuré, mon cher ami, que
si vous avez quelque occasion de leur prêter appui, vous ne leur ferez pas
faute; votre cœur va au-devant de tout bien et, comme par instinct, porte
secours à toute peine; les rudes travaux de mes bons associés pour cette saison
vous inspireront sympathie et vous leur donnerez tout le secours qui sera en
votre pouvoir. Vous veillerez aussi sur nos Saintes-Familles qui vont se
trouver un peu délaissées; mon f. Paillé les visitait un peu toutes, les
encourageant et conseillant de son mieux, mais le voilà comme moi réduit à
prier seulement pour elles; heureusement vous restez là, vous suppléerez à
tout. Je vous demande aussi un peu de votre sollicitude pour notre œuvre de
Nazareth; j'ai laissé ce lourd fardeau sur le dos de mon f. Maignen, mais le
pauvre enfant, déjà si chargé par son patronage,223 périra à la peine
si vous et tous nos bons Confrères ne lui donnez vos encouragements et votre aide.
Je ne sais si notre cher Président Général est de retour
à Paris; veuillez lui exprimer le regret que j'ai ressenti de m'éloigner sans
prendre congé de lui; vous savez en quel état je suis parti, je me recommande à
ses prières si précieuses devant Dieu, à celles aussi de tous nos excellents
Confrères du Conseil Général, dont les sentiments si nobles et si charitables
ont été ma constante édification. Ne penseriez-vous pas, mon bon ami, que notre
maison de Nazareth, avec les proportions qu'elle a prises, avec sa chapelle
dont on peut tirer un si grand parti pour le bien, surtout avec nos jeunes
ecclésiastiques de Vaugirard, est maintenant plus qu'une simple œuvre d'une
Conférence, mais qu'elle pourrait intéresser toute notre Société à Paris, comme
exemple peut-être et surtout par la gravité qu'elle donne à nos œuvres et par
les espérances qu'elle en fait concevoir? A ce titre et au point d'avancement,
on pourrait dire de presque achèvement où elle se trouve, ne vous paraîtrait-il
pas possible d'y intéresser notre cher Président Général, son Conseil, et
peut-être aussi le Conseil de Paris? Si l'on craignait de faire antécédent, on
pourrait alléguer mon état de souffrance et d'épuisement qui fait un cas
d'exception et qui appelle le secours et l'appui charitable de notre chère
Société. Je livre ces considérations à votre examen; notre maison de Nazareth
est, je le crois, une institution bien digne d'intérêt; j'espérais la mener à
bonne fin, mais, puisque mes forces me trahissent, ne puis-je solliciter un peu
de concours au foyer de notre chère Société?
Adieu, mon bien cher Confrère et ami, je n'ose dire
encore au revoir; au revoir pourtant puisque, pour les chrétiens, l'heure de la
réunion, un peu plus tôt, un peu plus tard, doit assurément se réaliser. Je
suis en J. et M.
Votre dévoué Confrère et affectionné ami
Le Prevost
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