Explications demandées sur le changement de statut de la
propriété de Vaugirard pour autoriser la loterie. Il faut
trouver des ressources pour la Communauté. Un bienfaiteur fait don d'une maison.
Hyères, 10
avril 1856
Très cher ami et fils en N.S.,
Pour répondre vite et poste pour poste à votre
lettre, je vais le faire laconiquement; ne prenez pas pour de la sécheresse,
qui n'est pas dans ma volonté, une brièveté que le défaut de temps commande.
J'ai reçu vos 500f, je vous en remercie; je regretterais
d'imposer cette dépense à la
Communauté si la bonne Providence ne devait s'en charger; Mlle
Gauthier m'offre 300f,
je lui écris pour les accepter et la prier de vous les remettre; déjà, Mme
Taillandier vous avez remis 100f
pour mon retour; si, sur les 500f,
nous en rapportons 100, nous établirons la balance; déjà précédemment, c'est
avec les dons qu'on m'avait faits à l'occasion de mon départ et avec la
quote-part du f. Paillé que nous avons pu pourvoir à nos frais depuis mon
éloignement de Vaugirard; il sera donc vrai de dire que le divin Maître a
daigné préparer lui-même notre viatique, grâces en soient rendues à sa
paternelle bonté.
Vous ne me donnez pas d'explication assez claire
relativement à votre proposition d'abandon aux sœurs de charité de la propriété
de Vaugirard, en cas de dissolution de notre Société. Entendez-vous par ce mot
Société les trois acquéreurs de la propriété, ou bien la Communauté elle-même,
ou enfin l'établissement des orphelins? Si vous entendez seulement
l'association des acquéreurs, elle s'éteindra à la mort du dernier des trois
tout au plus tard, et en admettant que légalement on n'en conteste pas
l'existence, quand l'un ou deux des trois seront décédés; alors cela n'irait
pas bien loin et, après un petit nombre d'années, en vertu de l'acte d'abandon,
la propriété reviendrait aux sœurs de Charité, et la Communauté laissée
derrière serait frustrée.
Entendez-vous la Communauté dans son ensemble? Je serais bien
alors de votre avis; elle venant à s'éteindre, rien de mieux à faire que de
faire passer l'immeuble à une destination charitable. Mais il me semble évident
que l'administration n'a pas eu en vue la Communauté, qu'elle ne connaît pas ou qui est
nulle à ses yeux, puisqu'elle n'a pas d'existence légale.
Enfin, voulez-vous parler seulement de l'institution des
orphelins, et serait-ce en cas de dissolution de cet établissement que nous
devrions déguerpir et abandonner la propriété à d'autres? Mais alors ce serait
bien nous lier; rien ne nous répond que, dans quelques années, nous ne
trouverons pas à propos de remplacer cette œuvre par une autre, ou de la
transformer, ou de la porter ailleurs; en tous cas, il y aura matière à
difficulté ou à un détriment considérable pour notre Communauté. Si, comme je
crois l'entrevoir, vous désignez par ce mot de Société l'espèce de tontine ou
association constituée entre les trois acquéreurs et qui laissera propriétaire
le dernier survivant, il faudrait être bien positivement assuré, avant de faire
l'acte d'abandon que vous proposez, non seulement que cette Société est bien
solide et ne peut être contestée après le décès de l'un ou de deux des associés,
mais encore qu'elle peut se continuer en remplaçant par d'autres les associés
qui viendraient à mourir; or, c'est là ce qui ne m'a pas paru certain et qui me
semble même assez douteux; il y aura lieu sans doute à des transmissions par
testament ou autres actes qui changeront les conditions de la Société actuelle et
pourront la faire considérer comme légalement dissoute; or, en ce cas,
l'immeuble reviendra aux sœurs de Charité. Eclaircissez bien ces points avant
de faire la démarche que vous proposez, car elle pourrait en divers cas, ainsi
que je l'indique, donner lieu à de fâcheuses conséquences pour nous.
L'abandon proposé constituerait
d'ailleurs une véritable donation (en certains cas prévus) au profit des sœurs
de Charité; cette donation, pour n'être pas fictive, devrait nécessairement
avoir leur consentement ou l'acceptation de leur part; l'affaire ainsi posée ne
pourrait être traitée qu'administrativement, c'est-à-dire qu'elle serait portée
à l'examen du Conseil d'Etat et traînerait inévitablement plusieurs mois, six
peut-être; ce seraient de bien longs retards. Je crois qu'il est essentiel que
vous consultiez sur tout cela M. Lambert et que vous ne fassiez rien sans son
avis. Puis, après tant de délais et de difficultés, la loterie serait-elle
enfin autorisée? La chose est bien incertaine. Je ne puis vous donner d'avis
plus précis, vos explications ne m'ayant pas suffisamment éclairé; consultez M.
Lambert et rapportez-vous à son avis.
Il est bien essentiel, dans cette situation, de ne pas en
demeurer là, et sans tarder, et avec toutes les diligences possibles, de créer
quelques ressources pour les besoins du moment; j'aimerais bien mieux un sermon
ou quelque autre moyen selon nos vues chrétiennes, mais, si nous n'avons pas le
choix, il faut se résigner à celui que Mme de Vatry choisira (une
représentation théâtrale ou un bal excepté). Un concert préparé par elle ne
peut être mal composé; son amie, Mme de Spare, y chanterait sans
doute, c'est une personne bien posée qui ne se compromettra point dans une assemblée
mal convenante.
Pour la location des
bâtiments en bas de notre maison, je crois qu'il faut les louer à 2.500f pour 9 ans, si on ne
peut les louer pour 3, 6 ou 9. Quand même nous serions contraints plus tard de
faire des constructions sur le hangar ou autrement pour une dizaine de mille
francs, ce serait bien moins lourd pour nous et aussi plus commode que de
porter une partie de nos dépendances à une distance énorme du reste de la
maison.
J'enverrai une petite lettre à M. Maignen pour Mme
Abel Laurent.
Quant à M. Baulez, vous ne
m'expliquez pas assez nettement l'affaire, la clarté est si nécessaire pour
s'entendre. M. Baulez nous donne-t-il définitivement cette maison? Comment nous
la donne-t-il? Autrefois, il m'avait dit qu'il la mettrait en notre nom par un
acte de vente, a-t-il changé d'avis? M. Demanche, son notaire, le dissuadait de
cette donation ou voulait au moins que certaines difficultés qu'il entrevoyait
fussent levées; ne serait-il pas mieux de le voir? Cette maison sera vendue à
vil prix, ne vaudrait-il pas mieux la laisser en location? J'avais pensé que,
si elle nous appartenait définitivement, on pourrait la badigeonner et
replâtrer un peu et la mettre dans notre loterie. Voyez tout cela, je ne puis
répondre sans de nouveaux renseignements de votre part.
Si vous louez les bâtiments de
Vaugirard, prenez des renseignements sur les locataires, stipulez qu'ils ne
pourraient céder leur location sans notre permission. Nous examinerons la
question de porter à 25f
la pension des enfants et nous la déciderons à mon retour; cette mesure
présentement porterait préjudice à l'appel que nous voulons faire à la charité
par la loterie ou autrement.
Je vous embrasse ainsi que nos
frères.
Le
Prevost
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