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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 301 - 400 (1855 - 1856)
    • 378-1  à M. l'abbé Timon-David
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378-1  à M. l'abbé Timon-David

Ce qui se fait à l'œuvre d'Amiens. MLP. répond à ses objections. Le règlement, encore expérimental, corrigera une disposition sur la pauvreté selon les indications de la Providence. Assurance lui est donnée quant au fonctionnement de l'œuvre de Marseille. "en tout et par dessus tout, la charité est notre règle et notre suprême loi". MLP. lui donne comme exemple l'union avec M. Halluin. Les imperfections de M. Timon-David ne feront pas obstacle.

 

Amiens, 14 juin 1856

Cher Monsieur l'abbé,

Je n'ai pas sous les yeux votre bonne et si confiante lettre, mais si les mots peuvent m'échapper, l'esprit et les sentiments en sont restés en moi; je profite donc pour vous répondre de quelques moments de liberté qui me sont laissés durant la visite que je suis venu faire à notre petite famille d'Amiens.

Elle se compose en ce moment de trois membres seulement qui dirigent un orphelinat à l'intérieur et l'œuvre du patronage au dehors; ils parviennent, malgré ces occupations impérieuses, à faire encore une part pour leurs exercices de communauté qui sont suivis assez régulièrement. J'ai trouvé tout en bon état: leur maison qui est assez belle et bien disposée est parfaitement tenue, leurs enfants bien conduits et bien soignés, enfin la communauté elle-même est en bonnes dispositions, pieuse, unie et sincèrement dévouée au service du Seigneur. Il va sans dire que, pour le patronage surtout, qui est fort nombreux, ils sont grandement aidés par des personnes du dehors, mais ils opèrent encore ainsi une autre œuvre, celle d'encourager au bien beaucoup de gens qui se sanctifient et qui acquièrent des mérites par la pratique de la charité.

Ces détails ne vous paraîtront pas sans intérêt puisqu'ils concernent une partie de la famille à laquelle vous vous associez, et dont tous les membres vous regardent désormais comme un frère.

 

Paris 17 juin 1856. - On ne fait pas à Amiens tout ce qu'on veut. J'ai bien commencé cette lettre, mais l'achever ne m'a pas été permis; les courses, les visites, les conférences avec les Frères que je devais voir quelques jours à peine, ont absorbé tous mes instants. Ici, j'arrive tout juste pour la Confirmation de nos orphelins; Mgr l'Evêque d'Angers, qui nous accorde une bienveillance toute particulière, a eu la bonté de faire cette intéressante solennité; demain, il nous revient pour voir et exhorter spécialement la Communauté; ainsi les jours se suivent, et je laisse trop longtemps sans réponse votre affectueuse épître.

Je commence en constatant ici, dès les premières lignes, que désormais nous nous regardons comme liés à vous charitablement membres d'une même famille avec vous. Toute notre petite communauté a adopté, de plein cœur le Frère de Marseille avec tous ses chers enfants et lui donnera part à ses prières et à ses œuvres en attendant le même retour de son côté; elle travaillera sincèrement à consommer par l'effet cette union en cherchant sans relâche les moyens de faire à Marseille une petite colonie qui se groupera autour du Frère si dévoué et si persévérant qui forme comme la première assise de la fondation. Voilà bien nos sentiments et dispositions, ils correspondent aux vôtres si je ne me trompe; la chose me semble donc bien entendue, nous sommes frères et nous marcherons désormais côte à côte dans le service du divin Seigneur.

Vous ne me faites aujourd'hui, cher Monsieur l'abbé, d'observation touchant notre règlement qu'en ce qui concerne pour vous la consommation réelle de la pauvreté; en le relisant, vous y trouverez bien d'autres remarques à faire, il contient des lacunes et imperfections notables, mais nous répondons, en ensemble, aux justes critiques qu'on en peut faire, en le donnant pour ce qu'il est en effet, c'est-à-dire un simple relevé de notre état présent, et en promettant d'opérer successivement les amendements et corrections désirables à mesure que la Providence, dont nous suivons pas à pas la conduite, nous fournira les lumières dont nous avons besoin.

Quant à l'article concernant la pauvreté, il a être, nous le croyons, énoncé d'une façon absolue parce que nous avons souhaité nous établir dans le sacrifice généreux et complet de tout et de nous-mêmes; mais l'expérience nous montre, par nous-mêmes et par les autres Congrégations, que l'exécution peut en certains cas être assez difficile; c'est pourquoi notre règlement autorise le Supérieur à admettre des temporisations quand il les croit vraiment motivées. Je crois que les circonstances où vous êtes, cher Monsieur l'abbé, relativement à vos entreprises et acquisitions, constituent bien un cas pareil et que nous pouvons accepter, quant à présent, votre sacrifice tel que vous l'envisagez, savoir de ne disposer et n'user de rien qu'avec permission. C'est là assurément un premier degré de pauvreté bien notable et bien méritoire devant Dieu. Nous ne verrions d'ailleurs aucun avantage à changer de nom votre avoir puisque, n'étant pas légalement autorisés, nous n'avons pu nous-mêmes nous séparer de ce qui fait le fonds temporel de la communauté qu'en constituant une société tontinière sur la tête de 3 des plus solides (en apparence au moins) d'entre nous. Mais je vous conjure, cher Monsieur l'abbé, de consommer bien cordialement en vous-même le détachement afin qu'intérieurement le principe reste sauf si l'effet demeure imparfait.

Il me semble que vous pourriez considérer, pour vous affermir en ce sens, qu'ayant assez de confiance en la Communauté pour lui abandonner la disposition de vos facultés et de votre personne, vous pourriez bien un jour, si la Providence rendait votre situation plus dégagée, avoir la même confiance pour ce qui regarde vos biens temporels. Car si vous croyez que, marchant en présence de Dieu, nous ne disposerions jamais témérairement de vous et ne compromettrions pas de gaieté de cœur l'œuvre si intéressante que vous dirigez, vous pouvez être, par là-même, bien certain que nous ne lui enlèverions pas non plus les ressources qui servent à son soutien. C'est là une règle d'équité et de constante pratique dans les Congrégations qu'on garde à chaque œuvre les moyens qui ont servi à sa création et à sa subsistance; les diverses institutions dépendant d'une même Congrégation se peuvent aider fraternellement mais elles ne s'absorbent et ne se dévorent jamais les unes les autres. Ce principe de charité restera essentiel parmi nous car, en tout et par dessus tout, la charité est notre règle et notre suprême loi. J'ai dit ces quelques mots, cher Monsieur l'abbé, pour vous manifester sur ce point nos sentiments afin de mettre bien fermement votre esprit en paix parfaite.

Nous introduirons volontiers dans la Communauté la pieuse pratique des 15 samedis et nous en commencerons avec vous l'application à partir de samedi prochain, 21 de ce mois. Il est bien bon de ne regarder comme solide que ce que la prière a sanctionné; il est consolant aussi de tenir en réserve pour les grandes occasions quelque moyen puissant qui fasse un appel plus instant aux miséricordieux secours de Dieu. Ce ne sera pas, je l'espère, le seul emprunt heureux que nous ferons à votre œuvre; peut-être aussi aurons-nous pour notre part quelque retour à vous faire afin que ces mutuels échanges tournent au profit de la charité.

Nous avons, comme je vous l'avais d'avance annoncé, cher Monsieur l'abbé, consommé notre union avec M. l'abbé Halluin qui dirige à Arras un établissement d'orphelins, digne du plus grand intérêt. M. Halluin est une de ces âmes généreuses qui ne marchandent pas non plus les sacrifices, et qui comme vous, ne croient pas qu'on serve Dieu véritablement si l'on ne se donne tout à lui. Le Seigneur a béni ses efforts, sa maison réunit 130 enfants dont l'âme et le corps eussent été sans lui en perdition. Aussi, c'est bien moins l'importance de son œuvre qui me touche que le zèle généreux et ardent qui l'a poussé à la fonder. Si, comme je l'espère, quelque circonstance vous rapproche de lui dans la suite, vous n'aurez pas de peine à vous comprendre, la charité est cette langue merveilleuse que parlaient les apôtres après la descente du Saint-Esprit, toutes les âmes inspirées l'entendent de quelque contrée qu'elles soient, du nord ou du midi. J'attends de grands biens pour nos œuvres et pour nous des communications et échanges bienveillants que nous pourrons opérer entre nous à mesure que notre union deviendra plus intime et plus effective.

Mais je vous entends, cher Monsieur l'abbé, me demander si nous avons pu déjà préparer pour Marseille en particulier quelques moyens, afin de vous donner un peu d'aide et de commencer comme vous le souhaitez votre petit foyer de communauté. J'espère d'ici à peu de temps avoir à ce sujet quelque vue plus précise; nous attendons l'arrivée d'un nouveau Frère; M. Halluin, de son côté, doit envoyer au noviciat chez nous un de ses jeunes gens; il résultera sans doute de ces mouvements quelque renfort qui nous donnerait plus de facilités; c'est en tout cas une affaire de temporisation seulement, nous sommes sincèrement résolus à traiter votre œuvre comme nôtre, elle ne sera sacrifiée à aucune autre parce qu'en elle-même et à cause de vous, elle nous devient véritablement chère.

Nous souhaitons toujours que rien ne s'oppose à la visite que vous vous étiez proposé de nous faire mais je sens bien qu'elle ne vous serait guère possible avant que les travaux de votre chapelle soient plus près de leur terme. Je ne crains pas du reste comme vous, cher Monsieur l'abbé, que vos quelques imperfections empêchent nos Frères de vous aimer et de s'attacher tendrement à vous; je ne sais si le lien qui nous unit me rend déjà un peu aveugle à votre égard, mais je trouve dans votre apport à la famille que vous adoptez beaucoup plus de bien que de mal; le bien, je le tais e n'en parle qu'à Dieu pour l'en remercier; le mal, à votre sens, c'est qu'à la place du dévouement ardent et généreux qui me semble être l'âme de votre vie et de votre œuvre, il y aurait une sorte de ténacité naturelle qui se raidit contre l'obstacle et s'affermit par la difficulté. Si telle est en effet votre nature, elle est heureusement douée et elle offre de grandes ressources; pour peu que la grâce la domine et la conduise, elle atteindra doucement et fortement le but que le divin Maître vous aura assigné. Mais dites-vous encore, quand il y aurait force, il n'y aurait certainement pas douceur puisque l'impétuosité des premiers mouvements se manifeste surtout par la brusquerie et la rudesse des paroles. je n'ai pas eu à remarquer ce défaut qui ne se révèle à moi que par votre aveu; mais St François de Sales nous est témoin qu'il se peut corriger; la vie commune aura pour vous y aider des appuis que ne vous fournissait pas votre isolement, puis nous prierons ensemble et le Dieu de mansuétude daignera se rendre à nos vœux.

Cette lettre se ressent des cent interruptions qu'elle a subies; si vous n'y trouvez pas, cher Monsieur l'abbé, l'accent de tendre affection, de cordiale sympathie que j'avais à cœur d'y mettre, c'est à cela qu'il faut l'attribuer. Mais ces sentiments eux-mêmes vont bien profondément en moi comme en tous mes Frères; la suite de nos rapports vous en sera, je l'espère, un constant témoignage. Veuillez offrir mes respectueux souvenirs à M. Guiol, je me sens en parfaite union de cœur avec lui. Croyez aussi à mon respect et dévouement sincère en N.S.

Le Prevost

 

 




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