416  à M. Maignen

Le frère de M. Maignen, Louis, passe son doctorat es-lettres à la Sorbonne. Sciences humaines et science du salut. MLP. est très affecté par la disparition de M^me Taillandier. Il faut que l'Institut conserve des souvenirs concrets: "ils sont essentiellement dans la tendre charité qui est la vie même de la Communauté".

Cannes, 10 novembre 1856

Très cher enfant en N.S.,

Je viens, comme vous le désiriez, d'écrire au r.p. Lavigne; s'il a la bonté de me répondre de Toulouse, je ne manquerai pas de vous en faire part.

Je prierai certainement pour votre frère à l'occasion de son examen, et je demanderai surtout à Dieu qu'avec la science humaine, Il daigne lui donner la science du salut. Si scires donum Dei²⁵³. Que ne comprend-il cette parole du divin Seigneur à la Samaritaine! Il verrait combien est admirable, haute et profonde la science que le bon Maître enseigne aux humbles et aux petits. Et nous, cher enfant, ne nous lassons jamais de remercier notre Père céleste qui nous a fait ce don si gratuitement et avec si peu de mérites de notre part; gardons-le fidèlement, accroissons-le par la prière, par le dévouement et par la charité.

J'ai été heureux de recevoir quelques mots de souvenir de vous; il ne m'est encore rien arrivé de notre chère famille, sinon quelques lignes du f. Myionnet m'annonçant la triste nouvelle de la mort de notre amie, M^me Taillandier.

Quelle âme, quelle piété, quelle douce, indulgente et généreuse charité! Que le bon Dieu a été bon de préposer cet ange à la garde de notre œuvre naissante! Et maintenant qu'Il l'a rappelée à Lui, suivons-la des yeux au Ciel, où assurément elle continuera de veiller sur nous. J'ai été, et je reste profondément affligé de cette perte; l'espérance chrétienne me console sans doute, mais la nature gémit de cette douloureuse séparation. Personne ne m'avait jamais montré une si affectueuse, une si indulgente sympathie pour nos œuvres; j'y voyais un signe de la protection de Dieu et un appui que sa grâce nous avait suscité. Je ne me contriste point que ce secours nous soit ôté, car le cœur de Père qui nous l'avait donné reste toujours ouvert pour nous, mais j'éprouve une profonde peine en pensant qu'à mon retour je ne retrouverai plus cette amie si dévouée, si tendre et si attentive dans nos peines, dans nos besoins, comme dans nos satisfactions et dans nos joies. Depuis la perte de ma mère, je n'en avais point fait d'autre pareille; que le saint nom de Dieu soit béni, et puisse-t-Il nous rendre au Ciel ce qu'Il nous a repris pour un temps sur la terre. Je suis bien consolé de ce que vous me dites sur l'empressement que tous ont montré pour l'accompagner à son convoi; je fais dire ici des messes pour me mettre en union avec vous et donner à notre amie ce dernier témoignage d'affection et de reconnaissance. Je désire aussi que son nom soit inscrit dans la chapelle de N. D. de la Salette quand elle sera faite; il me semble qu'on y devrait mettre deux tableaux: l'un pour les frères décédés, l'autre pour les bienfaiteurs aussi décédés; les uns et les autres, en effet, concourent ensemble au soutien de nos œuvres, les uns au dedans, les autres au dehors; il faut que notre petite famille, plus qu'aucune autre, ait des souvenirs, parce qu'ils sont essentiellement dans la tendre charité qui est la vie même de notre Communauté.

Adieu, cher enfant; je vous parlerai un peu plus tard, si cela vous intéresse, du pays où je suis; je ne sais si je pourrai faire activement quelque chose; j'espère au moins que, par mes prières et mes bons désirs, je payerai l'hospitalité qu'on m'y a donnée. Je vous embrasse tendrement ainsi que tous nos frères et suis, en J. et M.,

Votre affectionné ami et Père

Le Prevost