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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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428 à M. PailléMLP. donne des détails sur sa santé et sur le climat de Cannes. La mauvaise qualité du vin est une des causes de ses misères. La chapelle de Nazareth. Abonnement au journal l'Univers. Projet de Conférence de St-Vt-de-Paul. Bien garder, aux archives, la lettre relatant les derniers instants de Mme Taillandier.
Très cher ami et fils en N.S., Je vous remercie de votre affectueuse sollicitude pour ma santé; je vous sais bien bon gré aussi de la pensée que vous avez eue de consulter l'excellent M. Tessier sur les moyens que mes misères pourraient demander. J'aurais grande répugnance à m'éloigner davantage; nos petites dispositions sont prises ici, nous commençons à connaître les êtres; il faudrait s'installer de nouveau ailleurs, avec nouveaux frais de voyage et embarras aussi réitérés pour nous asseoir à peu près selon nos besoins; je crois qu'il faut que je patiente et persévère encore. J'éprouve ici ce que j'avais éprouvé au Vernet et à Hyères; le climat du midi est bien puissant et bien surexcitant pour mes faibles organes, une température un peu plus moite et moins mordante qu'on ne l'a dans ces contrées m'irait mieux sans doute, mais où la trouver? L'humidité froide et brumeuse de Paris ne me conviendrait pas, et surtout m'empêcherait de sortir et de prendre l'air, comme j'en sens le besoin; ici, le temps est merveilleusement beau; depuis un mois nous avons un soleil radieux et nous n'avons eu que quelques heures de pluie, mais cette aridité même a ses inconvénients; puis, les variations de la température sont grandes; ordinairement, nous avons le matin de 5 à 7 degrés; dans le jour plus de 20, au soleil surtout; le soir, 8 degrés, et, dans l'intérieur de l'appartement, habituellement 13 ou 14. Je crois que l'indisposition qui m'est venue une dizaine de jours après mon arrivée pourrait être, autant que je puis le présumer, une sorte de pleurésie. C'était un mal dans le dos et les épaules, avec une vive douleur au poumon droit, et une violente inflammation à la poitrine, allant jusqu'aux entrailles et me causant une ardente altération. C'est à ce moment que sont venus, pendant deux jours seulement, quelques crachats de sang avec un peu de toux douloureuse et irritée. Comme je le fais quand je sens l'inflammation à l'intérieur, j'ai modifié mon régime, diminué l'usage de la viande, réduit celui du vin presque à rien; l'inflammation de la poitrine a diminué après quelques jours, je ne tousse plus, mais le système tout entier reste échauffé et toujours prêt à prendre feu, je ne sais comment trouver des aliments assez doux, mes entrailles tendent toujours à l'inflammation, ma poitrine est faible et toujours assez douloureuse; je n'ai pas encore, en un mot, trouvé mon assiette et mis mon organisme en harmonie avec le milieu dans lequel je suis. Vous savez qu'une particularité de ma frêle constitution, c'est que les qualités du vin que j'emploie influent singulièrement sur moi; bien que je n'en boive guère que deux bouteilles par semaine et que je le trempe toujours de beaucoup d'eau, il m'est impossible de marcher néanmoins tant que je n'ai pas, sous ce rapport, trouvé la combinaison convenable. A Vaugirard, j'y étais parvenu en mêlant à celui que j'ai à la maison un vin de Bordeaux fort chétif, que me vendait à la bouteille M. Dupuis, rue du Regard. Ici, toutes mes tentatives ont été inutiles; le vin que j'ai apporté, déjà trop ardent, l'est beaucoup moins que tout ce qu'on trouve ici, même dans les vins de Bordeaux qui sont fort chers (3f au moins la bouteille), supérieurs sans doute, en qualité, à celui de Paris, mais bien plus capiteux. Ne pouvant me décider à cet étrange moyen de faire venir de mauvais vin de Paris, j'ai essayé, avec beaucoup d'eau cela va sans dire, tous les vins du pays, au dedans et au dehors de Cannes; je n'ai trouvé que des vins chauds, capiteux, irritants, surexcitants. C'est là, je crois, une des principales causes de toutes mes misères, parce que je ne puis lutter contre le principe d'inflammation que l'air, le soleil peut-être, la mer, etc. apportent en moi. La pensée m'est venue que ce serait pour vous un mince embarras et, en soi, une minime dépense de port, de faire un essai avec 6 ou 8 bouteilles au plus, qui me suffiraient largement pour faire une épreuve de six semaines. Si, durant ce temps, l'équilibre se rétablissait dans ma santé, il faudrait, quoique en gémissant, faire concession à de pareilles infirmités et me faire un envoi de Paris d'une vingtaine de bouteilles en plus; sinon, je me résignerais et prendrais, je l'espère, en patience un mal dont je ne verrais point le remède. Si vous ne voyez pas trop d'inconvénient à cet arrangement, cher, je vous prierais de passer chez M. Dupuis et de prendre chez lui, pour me les expédier, 3 ou 4 bouteilles de Bordeaux à 2f, et 3 ou 4 à 1f. tel qu'il me le vendait; l'un et l'autre m'allaient à peu près également bien. Je ne crois pas qu'il faille juger du climat du Midi par ce que j'en éprouve; il vous souvient qu'à Hyères l'an dernier, tous les malades allaient bravement au dehors, tandis que moi, trouvant l'air trop dur, j'étais obligé de me couvrir la bouche et le visage. Ici, la peau de mes mains est devenue rude, comme elle l'était dans les grands froids ou aux vents de février à Paris. Je crois qu'entre Hyères, Cannes et Nice, qui se touchent, il y a, à vrai dire, bien peu de différence; ce sont d'admirables pays, on y échappe à tout ce que l'hiver à de triste et de rigoureux ailleurs, mais ils ne peuvent être absolument le paradis terrestre, ils ont leurs difficultés pour des organisations trop tendres et trop débiles. Quant à Menton, je ne sais pas du tout comment on y est; je prendrai quelques renseignements pour déférer aux conseils de M. Tessier, dans lequel j'ai une entière confiance; ce serait pourtant un embarras assez grand pour moi de me rendre dans un pays où je ne connais âme qui vive et où j'aurais, sans aucun aide, à pourvoir à une nouvelle installation. Ici, les recommandations du bon abbé Taillandier m'avaient préparé les voies; j'avais, à mon arrivée, un logement trouvé, toutes sortes d'assistances bienveillantes m'ont entouré et ont paré à mon inexpérience des gens et des lieux; je n'aurais pas sans doute ailleurs les mêmes conditions. Je désirerais donc essayer encore un peu si, à l'aide du vin que vous m'enverriez et en prenant beaucoup de précautions, je ne pourrais m'acclimater; si la souffrance de la poitrine et l'inflammation d'entrailles persistent, je prendrai de nouveau l'avis du bon M. Tessier. Ne croyez pas d'ailleurs que je fasse d'imprudence, je ne sors qu'après le soleil levé (il se lève, il est vrai, d'ordinaire vers 8h. du matin) et je rentre quand il se couche; c'est une recommandation qu'on fait ici à tous les malades, les rosées étant très abondantes et froides. J'arrivais à ce point de ma lettre quand on me remet votre dernière, dans laquelle vous m'invitez à écrire directement à M. Tessier; je suis si confus de vous en avoir déjà tant dit dans la présente sur ma santé que je ne puis prendre sur moi d'en refaire une autre sur le même sujet. Comme M. Tessier est bien pressé, vous pourriez lui indiquer dans celle-ci ce qui le mettrait mieux au courant de ma situation. Je vous exprime encore tout mon regret, mon bon ami, des interminables détails où je suis entré ici sur ma personne et ma santé; j'ai cru qu'il le fallait, puisque vous aviez obligeamment pris sur vous de consulter à mon sujet M. Tessier. Si vous aviez occasion de le revoir, assurez-le de toute ma reconnaissance et de tout mon dévouement. Ce que vous avez fait relativement à la chapelle me paraît bien; il faut attendre maintenant, et laisser M. le curé prendre de lui-même telle résolution qui lui conviendra; nous en parlerions, s'il y avait lieu. Je ne connais pas du tout M. le Curé de St-Philippe-du-Roule, mais je vais vous envoyer la lettre que vous me demandez, sauf à vous à n'en pas faire usage si vous trouvez mieux de chercher quelque autre voie. Je vous remercie pour l'Univers; ne prenez qu'un abonnement de trois mois, cette dépense me pèse un peu sur la conscience, je pense que nous nous en tiendrons à ce trimestre, je trouverai peut-être ensuite quelque moyen de me pourvoir ici; je n'ai trouvé que la Presse, j'en ai lu un numéro, mais c'était encore trop. L'affaire de la Conférence ici marche lentement, elle me semble toutefois avancer un peu; ces délais ont ce bon côté qu'ils amènent pour moi quelques relations avec ceux qui devront concourir à l'œuvre; il deviendra dès lors plus facile d'influer un peu sur eux. Ces délais ne dépendent pas d'ailleurs de moi. Notre jeune frère Ernest est bien sensible à votre bon souvenir; il va bien jusqu'ici et se soutient dans ses bonnes dispositions. J'ai envoyé au f. Myionnet une lettre très touchante que m'avait écrite notre bon abbé Taillandier sur les derniers instants de sa sainte mère; prenez-en tous communication et veillez bien à ce qu'elle ne soit pas perdue; je tiens bien vivement à ce qu'elle soit conservée dans nos archives. Adieu, mon bien bon ami; embrassez tous mes enfants de Nazareth pour moi, je les aime tendrement en N.S. Le Prevost
Je vais voir si un petit pays appelé Le Cannet, à trois quarts de lieue de Cannes, mieux abrité et plus éloigné de la mer, aurait un asile pour moi. S'il fallait absolument changer, ne pourrais-je aller à Rome dont l'air est plus mou et moins âpre qu'ici? Le voyage alors aurait un but, et d'ailleurs j'y retrouverais des amis. On me dit ici que Menton est dans un pays montagneux plus froid et peu abrité de la mer. |
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