Défense formelle d'augmenter le nombre des internes à
l'orphelinat d'Amiens. Mesure de prudence vis-à-vis des personnes de l'extérieur.
Cannes, 17 janvier 1857
Bien cher ami et fils en N.S.,
J'ai beaucoup écrit aujourd'hui, je me sens fatigué, je réponds
donc bien brièvement à votre bonne et filiale lettre du 13 de ce mois.
Je crois qu'il faut envoyer ma lettre au f. Carment en
l'avertissant par un mot qu'elle est arrivée au moment où il venait de partir.
Vous savez combien souvent je vous ai pressé de
restreindre le nombre de vos enfants internes, j'ai tant de répugnance à sortir
de la voie des simples recommandations et conseils que j'avais cru devoir m'en
tenir à cela; mais cette année, en présence des charges qui vont peser sur
vous, je me vois obligé de vous prescrire formellement et comme point essentiel
d'obéissance de ne pas excéder le nombre de 34 que vous avez atteint
aujourd'hui; je sais vos bonnes dispositions, mon bon ami, et je m'assure que
vous sentez comme moi les exigences de notre position; vous ne prendrez donc
aucune impression pénible de cette prescription formelle; elle est pour le bien
de la communauté, pour l'avantage de l'orphelinat lui-même; elle est donc selon
Dieu, elle sera selon votre cœur.
Pour ce qui regarde votre nièce, je vous recommande, mon
bon ami, de bien considérer ce que demande notre position et de ne rien faire
qui puisse au dehors prêter à la critique et au dedans nous susciter des
difficultés. Je ne croirais possible de tenir dans les bâtiments de la communauté
une personne si jeune qu'à la condition de n'avoir aucun rapport, communication
et rapprochement quelconque, escalier séparé, entrée séparée; qu'elle fût, en
un mot, non dans la maison, mais dans une maison contiguë. Autrement, croyez
bien que ce mélange de toutes sortes d'éléments dans la communauté lui donnera
un mauvais aspect et un mauvais renom. Il ne faut pas oublier que, d'ailleurs,
rapprocher des personnes du sexe des frères est toujours un danger, saint
Vincent de Paul, à 70 ans, ne permettait pas qu'une femme lui parlât autrement
qu'en présence d'un frère. Je dois vous dire que le f. Guillot, quoique
parfaitement sage et bien maître de lui-même, est cependant extrêmement
impressionnable sous ce rapport et que vous pouvez, si vous ne tenez bien compte
de ces observations, lui créer de pénibles épreuves. Je compte, mon bon ami,
sur votre prudence et sur votre charité. Consultez MM. Cacheleux et Mangot,
dites-leur mes objections.
Adieu, mon bien bon ami, je vous embrasse ainsi que nos
frères bien affectueusement.
Votre ami et Père en N.S. et en sa T. Ste Mère
Le Prevost
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