450  à M. Maignen

M. Paillé s'en vient à Cannes s'assurer de la santé de MLP. Amour de MLP. pour sa famille religieuse.

Cannes, 26 janvier 1857

Cher enfant en N.S.,

Je profite de l'envoi que je fais au f. Beauvais d'une réponse qu'il attendait de moi au sujet de son frère Paul, pour vous dire deux mots d'affection et vous donner de mes nouvelles. Le départ de notre f. Paillé m'indique que vous êtes alarmés des malaises répétés de ma santé; ils m'ont paru, en effet, un indice que mon mal avait empiré assez notablement sous l'influence du climat et de la mauvaise saison, mais sauf quelques accidents qui, depuis deux jours, n'ont pas reparu, des frissons nerveux assez pénibles, je ne vois pas encore de signe de fin immédiate. Ma poitrine est plus oppressée et plus douloureuse, je suis plus faible, mes digestions se font péniblement, l'appétit est presque nul, mais pourtant je vais encore, je sors un peu tous les jours, sauf quand le temps est tout à fait mauvais; je crois que mon f. Paillé, à son arrivée, va se fâcher contre moi en ne me trouvant pas si mal qu'il le croyait; je l'apaiserai de mon mieux, je ne pensais pas encore à demander décidément la venue de l'un de vous, mais peut-être le Seigneur, dont l'œil pénètre l'avenir, a jugé que le moment était venu. Si, d'un autre côté, je dois durer encore un peu, le voyage du f. Paillé y contribuera; il pourra causer au net avec le médecin qui m'a paru frappé de la gravité de mon état et qui ne m'a semblé me dire que la moitié de sa pensée. Notre cher frère aussi raffermira mon esprit que l'isolement, le défaut d'activité ont un peu abattu et lassé. Voilà ce que je me dis pour me consoler du sacrifice que fait notre chère famille et votre petite communauté en particulier. C'est d'ailleurs une marque de dévouement de plus dans les actes intérieurs de la famille, et cela fait tradition; enfin, une action généreuse et charitable ne tourne jamais à détriment, dans le service de Dieu. Ce témoignage d'affection ne peut rien ajouter à mon attachement pour notre chère Communauté, je ne vis que par elle et pour elle; quand je souffre, je me console en lui consacrant mes souffrances et, si je meurs, j'offrirai encore pour elle ce dernier sacrifice.

Je présume bien que votre filiale affection pour moi vous eût porté à souhaiter de venir près de moi à la place du f. Paillé; vous pensez bien, de votre côté, qu'il m'eût été bien doux de recevoir vos soins, mais il est mieux au fait de mes misères de santé, il a plus l'habitude des voyages, et enfin, si ma santé s'altère entièrement, il aura aussi plus de sang-froid dans une situation pénible.

Si je n'étais accoutumé à des alternatives de mieux et de pire, je me croirais aujourd'hui en meilleure disposition; il a plu, c'est toujours une cause de soulagement pour moi, je me sens tranquille et sans malaise bien sensible; mes nuits sont toutefois assez agitées; attendons en tout abandon la volonté de Dieu.

Adieu, bien cher enfant; je recevrai avec satisfaction des nouvelles de votre chère maison; je ne puis écrire aujourd'hui à mon abbé Hello, dites-lui qu'il n'y perd rien, quant à l'intention, non plus que mon f. Jean[-Marie Tourniquet] que je n'oublie pas devant Dieu.

Le Prevost