530  à M. Carment

Ne pas se permettre des voyages inutiles. Faire des visites d'ateliers, sans craindre les remarques. Donner autant qu'on espère.

Vaugirard, 22 mars 1858

Bien cher enfant en N.S.,

J'avais appris avec regret, par une lettre de M. Halluin, que vous étiez enrhumé et j'ai su depuis, par M. Caille, que vous étiez à Amiens pour vous soigner. Comme vous l'avez bien pressenti, cher ami, j'ai eu quelque peine en vous voyant revenir si tôt à Amiens et multiplier vos voyages; il me semblait que c'était prendre un mauvais pli que nos frères n'avaient pas jusqu'ici l'usage d'aller si souvent dans leur famille. Nous tâchons aussi d'ordinaire de soigner nos malades assez bien pour qu'ils n'aient pas besoin de sortir de la maison en cas d'indisposition. A Vaugirard, on n'épargne pour cela aucun sacrifice, et j'ai remarqué avec plaisir qu'à Arras, pour les ff. Joseph [Loquet] et Augustin [bassery] en particulier, M. Halluin prenait soin de tout ce dont ils pouvaient avoir besoin leur fût amplement donné. Je crois donc, cher ami, qu'il eût été mieux de rester là, ou, si vous aviez réellement nécessité de vous éloigner du lieu de vos occupations pour avoir plus de repos, concerter avec M. Halluin quelque séjour à Vaugirard. Je suis sûr qu'en y pensant bien, vous auriez été vous-même de cet avis et que c'est en suite d'un premier mouvement que vous aurez songé à vous rendre à Amiens; donc cher ami, je ne vous en fais point de reproche, je veux vous faire seulement une observation pour l'avenir. Dès que vous vous sentirez assez bien pour retourner auprès de notre cher M. Halluin, je crois que ce sera bien de le faire.

Nous n'avons pas de malade ici, grâces à Dieu; nous avons été ménagés cet hiver; je l'ai moi-même traversé sans encombre, à la condition seulement de ne pas sortir. Tous nos patronages commencent leur retraite, j'espère que tout ira bien et donnera d'heureux fruits; priez bien et faites aussi prier autour de vous pour que la moisson soit précieuse devant Dieu.

Je vous engage bien, cher ami, à vous prêter aux visites d'ateliers avec toute la bonne volonté et toute la cordiale soumission possibles. Vous vous exagérez l'effet de quelques criailleries des enfants, cela se réduit, j'en suis certain, à bien peu d'attention de la part des maîtres qui savent ce que valent, en général, ces sortes de plaintes; les préventions, s'il y en a, tomberont d'ailleurs bientôt dès qu'on aura eu quelques rapports avec vous qui, en général, aviez bien réussi avec les parents et les maîtres de vos enfants, quand vous vous occupiez du patronage. Enfin; et par dessus tout, ayez confiance en Dieu qui accompagne ses serviteurs quand ils agissent en simplicité, en obéissance et en esprit de foi; tâchez, bien cher ami, de vous pénétrer de plus en plus de ces sentiments, et croyez bien que le Seigneur sera avec vous dans tous vos travaux. La confiance en Lui n'est pas assez grande encore dans nos cœurs, et pourtant il proportionne ses grâces aux espérances de nos âmes; dites-lui bien souvent cette aimable parole: "In te, Domine, speravi, non confundar in æternum."

Adieu, bien cher enfant, je serai bien heureux de vous voir à la retraite si M. Halluin vous y envoie; le moment n'en est pas encore fixé, préparons-nous-y de bien loin pour que l'effet en soit plus grand et mieux assuré.

Offrez mon respect à vos bons parents et mes affectueux souvenirs aux ff. d'Amiens si vous êtes encore près d'eux.

Votre affectionné ami et Père en J. et M.

Le Prevost