564  à M. Halluin

Juste équilibre entre témérité et timidité. Nécessité d'une fusion plus complète avec la Congrégation et plus d'indépendance à l'égard du diocèse d'Arras. Faiblesse des âmes de son temps.

Duclair, 21 août 1858

Cher Monsieur l'abbé et fils en N.S.,

On m'a renvoyé chez ma sœur, où je suis depuis quelques jours et où je me propose de rester encore jusqu'au vendredi 27, la lettre que vous m'avez écrite le 16 de ce mois. J'y ai vu avec joie que vous commencez à vous organiser et que vos services vont marcher passablement, en attendant que le bon Dieu daigne nous donner les moyens de les asseoir tout à fait régulièrement. je crois que vous avez agi prudemment en rassurant ceux qui se préoccupent, en sens divers, de vos mouvements, mais nous n'avons pas à nous en inquiéter, tout cela tombera de soi et tous les bons esprits comprendront, nous pouvons l'espérer, que vous réglez vos affaires pour le plus grand bien. Il est sage, sans doute, que nous marchions avec une grande circonspection, et ceux qui ont suivi attentivement la marche de notre petite famille peuvent vous dire que rien n'est mieux dans ses habitudes que la patience et la temporisation. je crois pourtant que nous devons nous tenir en de justes limites entre la témérité et des allures par trop timides. Que pourraient objecter ceux à qui vous diriez: "Je ne puis, cela va de soi, conduire à moi seul une maison de 180 personnes. Je me suis, après mûr examen, déterminé à m'associer aux frères de S^t-Vincent de Paul qui s'occupent d'œuvres analogues à la mienne. Mais il est tout simple que cette association me donne quelques obligations en même temps que quelques avantages, et m'impose notamment la nécessité d'un échange et réciprocité de services. Si les membres de la Communauté viennent tour à tour et selon les besoins me prêter assistance, ils ont droit de demander à leur tour qu'à certains temps je puisse leur donner un peu d'aide. Ne vous étonnez donc pas si je fais quelques absences, laissez-moi quelque liberté dans mes mouvements et ayez la confiance que le Seigneur daignera, comme par le passé, me secourir pour la conduite de mon œuvre".

Ce serait surtout à l'égard de M^gr que j'aurais souhaité que vous prissiez une position plus tranchée. A mon gré, votre confiance en nous a été trop faible jusqu'ici; de là une certaine indécision dans nos rapports qui n'a été bonne ni pour votre œuvre ni pour vous, puisqu'après trois ans d'union nous étions guère plus avancés dans notre fusion qu'au premier jour. Nous commençons à entrer un peu plus franchement dans la voie d'une union sérieuse et effective, mais nous n'y pourrons avancer qu'à la condition d'une volonté un peu ferme et d'une marche plus franchement dessinée. Je m'en rapporte tout à fait à votre prudence pour examiner le temps où vous pourrez faire quelques absences, plus ou moins longues. Vous pourrez, cher Monsieur l'abbé, régler cela avec notre bon abbé Lantiez quand il ira vous voir. Mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de trancher nettement votre position à l'égard de la Communauté; autrement, tenue comme en cachette dans une position indécise et mal posée, elle restera impuissante à vous aider sérieusement et, après des sacrifices inutiles, n'aura que le regret de n'avoir pu seconder une œuvre aussi belle et aussi charitable que la vôtre. En résumé il me semble que vous pourriez demander à M^gr, ou qu'il vous donnât des aides pour soutenir votre œuvre ou qu'il vous permît d'en chercher vous-même, et qu'en ce dernier cas, il acceptât les conditions essentielles de toute association pour vous, savoir: quelque dépendance à l'égard de la Communauté, quelque liberté et dégagement à l'égard du diocèse. Soyez-en bien assuré, cher Monsieur l'abbé, si nous ne nous posons pas ainsi, nous sentirons inévitablement l'impossibilité de nous être utiles l'un à l'autre; Dieu daignera, je l'espère, vous faire partager sur ce point ma conviction profonde.

Je souhaite bien vivement que vous puissiez aller prendre quelques jours de repos; je me prêterai à toutes les mesures qui pourront vous donner cette facilité, l'âme et le corps ont besoin, chacun à leur manière, de certains moments de détente et de calme pour se remettre en équilibre et s'assurer dans leur voie; je souhaite bien, cher Monsieur l'abbé, que le bon Dieu vous donne ces moments de repos et de paix.

Nous sommes, à Vaugirard, en grand mouvement pour la fête des Vacances, nous n'avons pu l'éviter cette année, ayant des dépenses à payer pour la petite chapelle de la Salette, mais je pense que nous n'aurons plus cette charge bien dérangeante pour l'avenir.

Je pense avec vous qu'il serait bien de remplacer Dainville par une autre propriété beaucoup plus rapprochée de vous.

Quant au f. Michel, peut-être était-il difficile de lui refuser un asile, mais soyez assuré, cher Monsieur l'abbé, que le rapprochement de jeunes gens suivant une carrière au dehors, dans des conditions accessibles pour les frères, sera toujours une tentation et un grand danger pour eux. Les âmes sont faibles de notre temps, nous devons les entourer de beaucoup de ménagements. Prions beaucoup, la grâce nous est bien nécessaire; mais veillons aussi, car le Seigneur nous a recommandé l'un et l'autre. Le f. Joseph [Loquet] m'avait remis, il y a quelque temps déjà, une lettre pour vous. Je l'ai malheureusement oubliée dans ma poche. Je le regrette bien, ce frère ne vous a pas mis en oubli, c'est moi qui ai été négligent ou sans mémoire. M. Hello, qui est avec moi ici, se joint à moi pour vous assurer de nos sentiments de respect et de tendre attachement en N.S.

Votre dévoué ami et Père en J. et M.

Le Prevost