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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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22 à M. PavieConsolations à son ami dans sa déconvenue sentimentale. Nouvelle orientation de la vie de MLP.[son mariage avec Mlle de Lafond]. Il suivra les conseils de ses amis angevins.
Je vous écrivais, mon ami, quand votre lettre m'est venue. Je trouvai quelque joie, arrivant de la messe et après avoir donné à Dieu ma première heure de cette année, à vous donner à vous, ami, la seconde; mais ce qui était de don pur devient devoir. Vous souffrez, vous souffrez beaucoup. J'entrevois confusément votre malheur, je m'y livre tout entier. Vous voulez, cher Victor, que je vous parle de moi, je le ferai, ami. En autre moment j'y eusse trouvé répugnance, mais à cette heure que pourrais-je vous refuser. Laissez-moi seulement avant, ô mon frère, répondre à votre étreinte amicale. Laissez-moi vous dire que je pleure avec vous, que mon âme émue déjà et pressentant votre peine y compatissait d'une indicible tristesse et reçoit seulement ici le coup qu'elle attendait. Laissez-moi vous répondre, ami (on a besoin d'être aimé quand on souffre) que nul n'eût jamais d'amis tendres, dévoués comme les vôtres, et s'il plaît au Ciel que pareille joie refusée à tant d'autres, ait été couronnée, ne fut-ce qu'une heure, d'une joie mille fois plus pure, plus enviable encore, il faut trouver votre sort bon, votre part bien large et, tout en pleurant, crier encore, comme vous l'avez fait: Béni soit Dieu qui donne et reprend. Souvenez-vous aussi qu'en reprenant, c'est alors qu'il donne le plus. Vous avez rêvé, oh! bien heureux vous êtes. Combien, âmes pauvres et chétives, y sont impuissantes; combien, timides et découragées n'osent accorder à toute leur vie la création d'un rêve! Vous ne savez pas comme je le sais, moi, tout ce qu'il y a d'abattement et de tristesse à sentir en soi des puissances accablantes qui n'auront jamais d'emploi; à voir, non dans les songes, mais près de soi au monde réel, l'âme qui est à vous, dont Dieu vous a dit le nom, qui eût pu vous comprendre, vous répondre et pourtant à qui on n'oserait parler, pas même, je l'ai dit, penser ni rêver, que mille impossibilités séparent de vous à tout jamais et si invinciblement qu'aux heures les plus confiantes, jamais une lueur d'espérance n'apparût pour autoriser plus tard au moins un regret. De là, redescendant aux possibilités, aux choses que Dieu permet, met sous notre main, n'y pouvoir porter ni son cœur, ni sa vie, chercher seulement si de cette existence vide quelqu'un voudrait encore et dire: prenez, c'est bien peu, mais je ne saurais plus. Me reconnaissez-vous en tout ceci, mon bien cher Victor, et n'aimerez-vous pas mieux votre part que la mienne. Ne revenez pas, mais jamais, ami, sur l'impossibilité dont je parle! L'aurais-je tue jusqu'à l'heure d'affliction où vous me remettez votre âme pour l'assoupir et lui donner quelque relâche, où alors pour cela, tout au fond de moi-même, je puise aux dernières ressources de l'intime; l'aurais-je tue pour vous, si elle osait arriver à l'état d'espérance ou même de rêve, si elle était quelque chose, sinon un chagrin sans cause, nul pour créer et pourtant formant obstacle et s'interposant parfois avec une incroyable autorité. Oh! sachez-moi bien gré, mon cher Victor, de l'effort immense que moi aussi j'ai fait ici pour vous parler de moi, quand mon cœur n'est plein que de vous, ne se sent vivre qu'en vous et en votre peine; tâchez encore de prendre assez sur vous pour m'écrire de nouveau et me dire un peu plus, jusque-là du moins qu'il vous sera supportable. Je crains d'avoir incomplètement rempli la tâche que vous imposiez à mon amitié. Vous me demandiez peut-être, ami, quelque révélation décisive sur mon sort qui, préoccupant vivement votre tendre sollicitude pour moi, vous arrachât une heure à vous-même. Hélas! mon ami, que vous dire? Si c'est la vie intérieure que vous voulez elle a été, depuis votre lettre, bien agitée, bien active; et, quelqu'effort que j'y fisse, aujourd'hui je ne saurais vous le dire. Quant à la vie des faits, elle est presque en arrêt. J'attends un peu de calme. J'attends que la chose trop longtemps contenue, la forme d'idée s'épure, se dégage et remonte au sentiment. Alors, ami, je le pense je vous obéirai. Mes pensées, du moins, sont absolument retirées de l'autre projet, le détachement était peu pénible, je vous l'ai dit précédemment: c'était là pour moi une forme simple et résignée pour ma vie: d'élan, en haut et directement, je l'eusse donnée à Dieu, d'élan encore, mais par une autre voie, vous avez entrevu comment mon âme l'eût pu rêver; ces deux chemins fermés, tout autre m'ira, je pense, et Dieu me sera en aide. Savez-vous, et je puis à vous tout dire, ce que je regrette ici le plus, c'est la chasteté reconquise avec le secours incessant de Dieu qui m'avait rendu à mes propres yeux quelque pureté, quelque poésie, la chasteté qu'il faudra perdre dans un amour non sanctifié d'espérance, en un hymen sans fruit. Mais votre ami52 (j'entends celui qui est près de vous) y a bien songé sans doute et vous aussi assurément. Je passerai donc outre probablement à ce scrupule et suivrai votre avis. Tout cela d'ailleurs, toute réflexion, toute tristesse s'effaceront après la détermination prise. Je sais bien qu'une immense distance se trouve entre le moment où l'on parle et celui qui précède. Adieu, mon bien-aimé frère, parlez-moi, moi aussi j'ai besoin d'entendre votre voix. Que n'êtes-vous donc ici, comme vous seriez aimé, comme votre peine serait partagée, vos pleurs essuyés. Oh! que mon souvenir soit consolant pour vous. Remerciez tendrement votre ami; portez lui respect et affection de ma part.
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52 L'ami intime de V. Pavie est l'abbé Jules Morel (1807-1890), doyen du petit Cénacle. Consulté par MLP., le jeune prêtre se prononça pour le mariage. "Combien il le regretta plus tard, écrit Maurice Maignen, lorsqu'il en connut bien les circonstances et les suites". Mais Dieu avait sans doute ses desseins (...). Cf. VLP., I, p.241.
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