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d'Allevard. Défauts qui déterminent à ne pas recevoir un novice allemand.
Entrée au Séminaire d'Issy de quatre scolastiques,
démarches pour l'ordination de M. de Varax. Dévotion au Saint Cœur de Marie.
Chaville,
26 août 1865
Bien cher ami et fils en N.S.,
Pour cette fois, votre lettre est arrivée bien directement et sans ricochet à
sa destination; j'étais ce matin à Vaugirard quand elle m'a été remise, et ce
soir j'y fais quelques lignes de réponse à mon arrivée à Chaville; quelques
lignes, parce que c'est demain dimanche, que j'ai peu de temps et que je veux
confier ce message au fidèle Pascau.
Nous sommes de retour, M. Paillé et moi, depuis mardi au soir, un peu fatigués,
un peu éprouvés par le traitement des eaux, les changements de lieux, de
régimes, etc. mais, en ensemble, attendant l'un et l'autre quelque mieux en
santé que l'automne amènera peut-être.
Dans le petit troupeau, tout va bien in globo; les misères, ou morales
ou physiques, ne sont que dans le détail. A Chaville, que vous affectionnez
avec bon vouloir particulier, M. François [Bokel], l'allemand, ne paraît pas
devoir persévérer. C'est un garçon rêveur, susceptible à l'excès, préoccupé de
lui plus qu'il ne faut pour se donner aux autres, mais par-dessus tout
ambitieux, visant humainement à des choses hautes, voulant la science pour
atteindre à quelque position. En un mot, esprit nébuleux sans vues bien
assises, parce qu'elles ne sont pas simples et nettes. Nous l'avons bien
étudié, nous ne croyons pas qu'il soit près de nous dans sa voie, il n'a pas
l'ombre d'intelligence de nos fins, ni de l'esprit dans lequel nous désirons
nous asseoir.
En voilà un peu long, mais j'ai pensé que vous auriez peut-être un regret; j'ai
voulu vous assurer qu'il ne serait pas fondé. Les quatre jeunes philosophes, je
ne vous en ai rien dit, parce que je ne savais rien, rien n'était décidé; de
loin, je n'y voyais pas assez clair pour avoir une pensée bien arrêtée; depuis
mon retour, il semble arrêté qu'ils iront comme internes tous les quatre à
Issy, au moins pour la première année; nous pensons que si, au bout de l'an,
ils étaient fatigués, ils pourraient, en prévision des trois années du Grand
Séminaire, se reposer en suivant comme externes la 2e année d'Issy;
qu'ayant alors déjà pris le bon pli et les bonnes habitudes de tenue et de
discipline du Séminaire, ils pourraient avec moins d'inconvénient rester au
dehors la 2e année. Voilà le projet présentement, mais, chez nous,
l'imprévu déconcerte si souvent nos dispositions, justifiant le proverbe:
L'homme s'agite et Dieu le mène, que je n'ose encore assurer que ce sera le
dernier mot pour cet arrangement. Je suis toutefois allé hier faire inscrire
ces quatre jeunes gens à Issy. M. Camus m'accompagnait et s'est fait inscrire
aussi comme élève de première année; je vous l'ai dit, pour gagner du temps et
laisser s'apaiser les colères violentes et menaçantes de son père, il s'est
résigné à ce parti; peut-être Dieu se sert-il de ce moyen pour l'amener au
sacerdoce vers lequel il n'inclinait point. M. Maréchal est en vacances, le bon
économe qui le remplace vous est particulièrement affectionné; il viendra nous
voir à Chaville.
Dimanche 27. Je pars demain matin lundi pour régler quelques affaires de ma
sœur; je reviendrai vendredi 1er septembre; je pense que vous ne
tarderez guère à me rejoindre et à reprendre le chemin de Chaville; concédez
néanmoins à votre santé ce qu'elle demande, et aussi à vos parents ce qui vous
paraîtra désirable. Je ne vois pas d'inconvénient à la visite de Mgr
d'Autun [Mgr de Marguerye]; ce pourrait être, au
contraire, une occasion de lui rappeler que vous aurez bientôt à lui demander
les autorisations pour vos degrés d'ordination, et, en même temps, de paraître
persuadé (respectueusement) qu'il ne mettra nul obstacle à votre vocation
religieuse.
Je voudrais, cher enfant, répondre à la partie la plus intéressante de votre
lettre, celle qui regarde votre intérieur; je réservais à cette fin cette
dernière page tout entière, mais l'heure de ma messe est arrivée et Pascau doit
emporter cette dépêche immédiatement après; nous réservons donc cet intéressant
sujet pour nos entretiens à votre retour. C'est aujourd'hui la fête du Saint et
Immaculé Cœur de Marie. Je lui dédie notre petite famille et la cache bien
abritée dans ce doux asile. La paroisse de N.D. des Victoires, précédemment
aride, desséchée, objet de désolation pour son Pasteur, a refleuri, s'est
ravivée après qu'elle a été par lui confiée, dédiée au Saint Cœur de Marie. Il
me semble qu'il en va être ainsi de notre petite famille et de
chacun de nous en particulier; nous allons nous sentir plus fervents, plus
dévoués, rapprochés de ce Cœur si pur, si ardent, si généreux en sacrifices et
qu'on nous présente orné d'une couronne de roses blanches, surmonté d'une
flamme, percé d'un glaive, triple emblème de sa pureté, de son ardente charité,
de ses généreuses immolations. Je vous embrasse tendrement en ce Cœur si beau
et suis à toujours
Votre ami et Père
Le Prevost
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