1148  à M. de Varax

M. de Varax a été ordonné prêtre le 25 novembre par Mgr Lequette: joies de l'ordination. Ménagements à avoir envers l'abbé Laroche qui ne peut tenir tous ses engagements envers l'Œuvre d'Arras.

Vaugirard, 27 novembre 1866

            Mon bien cher ami et fils en N.S.,

            Les joies surabondantes de votre âme ont autant d'échos et de sympathies qu'il y a d'âmes vraiment sacerdotales, car il n'en est pas une qui ne se souvienne, d'un souvenir ineffaçable et toujours vif, des grâces dont le Seigneur l'a comblée à l'heure insigne de son ordination. Parmi nous, ces sympathies sont accrues de toutes nos tendresses pour vous; si j'osais, je dirais que, pour ma part, il y avait quelque chose de plus intime encore, mais je n'élève pas la voix, car plusieurs réclameraient contre la prétention; sans débat, soyez bien sûr, cher enfant, que tous nos cœurs, toutes nos émotions et nos prières étaient avec les vôtres. Cor unum et anima una, c'est la vie, la respiration commune, l'union en Dieu, la plus tendre charité.

            Je me propose de vous écrire, après le retour de M. Lantiez que j'attends ce soir ou demain matin, sauf information contraire, afin de vous dire ce qui aura été réglé concernant le jeune instituteur. Il devait voir M. Lantiez dimanche à Grenelle, il ne l'y a pas trouvé et aura été bien déconcerté.

            Je ne vois pas d'inconvénient réel à votre petit voyage à Lille; j'aurais aimé bien mieux pour vous, en ces premiers moments, un peu de calme et de paix avec Dieu que des excursions au dehors, mais, si vous jugez qu'il y ait là pour vous un devoir de famille, agissez pour le plus grand bien.

            Je vous enverrai au plus tôt les 100f. que je voulais remettre à M. Lantiez pour vous; j'aviserai aussi à vous adresser, par la voie la meilleure, les deux livres que vous m'avez demandés.

            M. Abel du Garreau a reçu l'envoi de M. Berloty et en a accusé réception; le montant du mandat n'est pas touché, mais pourra l'être quand on voudra; vous me direz, en temps opportun, vos pensées à ce sujet.

            J'ai reçu hier de M. Laroche une lettre où il se montre contristé d'être si vivement pressé pour le paiement des secours par lui promis à l'œuvre d'Arras; il m'explique les causes, réelles je le vois, de la gêne où l'a mis son installation aux Baraques, où il a dû tout apporter et où il trouve bien peu de ressources. Il me paraît bien évident que la bonne volonté ne lui a pas manqué pour nous assister. Il promet du reste que, vers le mois de mars, il recommencera à aider l'œuvre, autant bien qu'il le pourra. Je pense que vous ferez bien de lui écrire quelques mots de cordialité pour l'assurer que vous étiez bien loin de vouloir le contrister, que si vous avez été un peu pressant, c'est sous cet empire de la nécessité qu'on exprime par le dicton: la faim fait sortir le loup du bois, ou mieux encore: la poule garde bien ses poussins.

            Adieu, bien cher ami, on a dû recevoir depuis plusieurs jours, à l'Evêché d'Arras, le dimissoire de M. Victor [Trousseau]. M^gr [Dupanloup] a été d'une condescendance sans pareille; il m'a répondu lui-même immédiatement et, deux jours après, son secrétaire m'avertissait de l'envoi de la pièce. L'autorité chrétienne a la main douce et ferme en même temps; je baise cette main respectueusement.

            J'ai bien pensé que nous avions tous notre part de votre bénédiction de prêtre; je me suis incliné en pensée, à l'heure à peu près (sans doute) où vous aviez acquis l'heureux privilège de nous la donner.

            Je ne sais encore si votre bonne mère était là, M. Lantiez me le dira avec le reste.

            Adieu, bien cher enfant, toujours mon enfant quoique prêtre, et moi toujours votre Père très affectionné en J. et M.

            Tendres sentiments pour tous

                                                                                             Le Prevost