1175  à M. d'Arbois

Relève le courage de M. d'Arbois d'un pessimisme plus accentué que de coutume. Toutes les Œuvres sont imparfaites. L'essentiel est de faire "avec zèle et bon vouloir ce que l'on peut, de faire surtout en union avec Dieu".

Vaugirard, 15 février 1867

            Bien cher ami et fils en N.S.,

            Je ne vous écrirai pas longuement; le mauvais temps, les pluies d'hiver venant après les pluies d'été m'ont comme détrempé l'esprit, ma tête et le reste du corps sont chez moi vraiment détendus en ce moment; je ne puis presque rien faire.

     Je serais tenté de penser qu'à d'autres égards, vous subissez aussi quelque influence sombre, car votre dernière lettre est d'un pessimisme bien plus accentué que de coutume. Les œuvres, les gens, vous surtout, vos serviteurs, vos comptes, votre administration, tout est déclaré détestable; si pourtant, cher ami, vous jetiez tout cela dehors, soyez assuré qu'il ne manquerait pas de monde pour le ramasser, moi tout le premier qui saurais bien tirer grand parti de vous et des vôtres, si vous n'aviez déjà beaucoup à faire chez vous.

            M. et M^me Pavie, qui nous rendaient visite hier, tenaient un autre langage que vous; mais il n'est pas mal que vous aperceviez les imperfections de vos actes pour tendre toujours à les rendre meilleurs, et aussi pour ne pas céder aux suggestions de la vanité, si subtile, si insinuante et dont on se défait si difficilement.

            Il n'est guère étonnant qu'en si vilaine saison, avec les inondations et l'éloignement où se trouve N.D. des Champs, on s'y empresse un peu moins; mais les premiers rayons du soleil seront comme un appel pour la foule, et tout votre monde accourra. Faites avec zèle et bon vouloir ce que vous pourrez, faites surtout en union avec Dieu, et soyez bien sûr que vous retrouverez tous vos avantages. Vous ne me paraissez pas assez persuadé que d'ordinaire les hommes, en tout ce qu'ils opèrent, ne font rien qu'imparfaitement, des à peu près. Depuis trente ans et plus que je m'occupe des œuvres de Dieu, je n'ai jamais rien vu de vraiment complet, chez nous d'abord, et chez les autres non plus, quand il m'a été donné d'y regarder de près. Acceptez donc humblement cette condition des faits et gestes auxquels vous prenez part et consolez-vous, car si vous êtes imparfait, si vos œuvres sont aussi imparfaites, beaucoup de compagnons partagent votre sort.

            Nous allons ici comme de coutume; M. Philibert semble pourtant décliner plus sensiblement; je suis moi-même, depuis quelque temps surtout, fort caduc; mes jambes sont tellement percluses que je ne puis, même dans la maison, aller sans bâton; ce qui est pis, j'ai grand-peine à dire la S^te Messe et je crains d'être bientôt entièrement empêché. Priez pour moi, pour nous, priez aussi pour la Communauté dont le personnel n'est pas en proportion avec ses charges, le Conseil dit chaque jour le chapelet à cette intention; unissez-vous à lui.

            M. Derny a repris la direction de S^te-Anne et M. Charrin est au patronage d'Arras, dont M. Victor Trousseau, à cause de ses études, ne pouvait plus s'occuper.

            Adieu, mon bon ami, faites quelques bonnes affections de ma part à nos frères et croyez vous-même à tout mon tendre dévouement en N.S.

            Votre ami et Père en N.S.

                                                                                             Le Prevost

            Vous pourrez garder le prochain envoi d'argent que vous fera M. votre père, si vous ne voyez pas d'autre moyen d'atténuer le déficit accusé par votre lettre; ne doutez pas d'ailleurs que vous ne soyez en droit de retenir, pour les besoins réels de votre Communauté, quelque part des aumônes qui vous sont remises sans désignation de personnes, anonymes ou autres.