Couverture | Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText |
Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
|
|
33 à M. PavieLa sphère religieuse est la seule capable de procurer le vrai bonheur. Consolations et conseils à son ami. Il est touché de l'estime que lui porte Edouard Guépin. Difficultés à s'occuper d'un petit pensionnaire. Nouvelles des amis angevins. V. Pavie s'est éloigné momentanément de la Gerbe. Lacordaire chargé des conférences de Carême à Notre-Dame de Paris.
5 février 1835 Votre précédente lettre, cher Victor, m'avait laissé sur votre situation des inquiétudes et j'en gardais une impression vague de tristesse que je parvenais mal à dissiper. J'avais lu vos lettres à Gavard, Marziou, Godard, car, à défaut de communications directes à vous, j'en quête effrontément par toute voies, mais nulle part je ne trouvais réponse entière à ma sollicitude sur votre état de cœur. Aussi trouvai-je que vous tardiez bien à m'écrire. Je suis maintenant, je ne dirai pas plus tranquille, cela vous effaroucherait, seulement, cher ami, je suis moins tourmenté. Je me sens, comme vous l'avez été vous-même, soulagé par cette effusion qui vous a été permise, en détour sans doute et non immédiate, mais qui n'aura pas été, je m'en assure, sans quelque écho pour cette jeune âme. Que je reviens vite à tout ce que vous voulez et que c'est de bon gré que je vous livre et mon cœur et ma tête à tout vent soufflé par vous. Je voudrais tant vous voir heureux que pour vous au moins je reprends foi au bonheur! Pourtant, soit étroitesse d'esprit, soit vieillesse de cœur, soit, j'aime mieux le croire, ferme, inébranlable, exclusive conviction, je ne puis voir, idéalement ou au réel, aucun bonheur, hors la sphère religieuse, et si je ne vous y savais, cher ami, à tout jamais enfermé, si je ne vous voyais si scrupuleux, si inquiet aux limites, j'aurais beau faire, vous auriez mes tendres sympathies, mais de confiance en l'avenir et repos au présent, impossible. Je ne saurais. Aussi, est-ce avec une joie infinie que depuis longues années déjà je vous ai suivi sur ce point. Je vous ai vu et m'en souviens, presqu'enfant encore, à force de candeur, de naïve franchise, à travers l'art, la poésie et les brillants rêves de nos philosophes, vous démêler, vous faire jour et toujours aller au but. A votre dernier voyage toutefois, vous me sembliez changé; mais c'était transformation simple, je le vis bientôt; au lieu de 19 ans, vous en avez 25, voilà tout. La lutte n'était plus toute au dehors, elle se faisait à l'intérieur, mais là encore vous étiez maître. Votre front essuyé et la poussière abattue, vous vous retrouviez en face de Dieu. Cela dure encore aujourd'hui, cher ami, mais je n'ai pas peur. J'ai lu les premières pages du livre. J'en devine et pressens les dernières. Tout passé attentivement étudié porte indice de l'avenir; le vôtre, cher ami, est rassurant et bon; il est tout d'or, disait Marziou, à tels pieds on n'impose point tête d'argile. Cela m'explique, et mon ardeur à suivre tous vos projets et ma confiance sans bornes à toutes vos vues sur votre propre avenir; vous avez une règle, un point d'épreuve; bien certain que vous y rapportez tout par volonté expresse ou d'irrésistible instinct, que pourrais-je craindre et qu'ai-je de mieux à faire qu'à vous abandonner aveuglément tout ce qui est en moi de sentiment pour être à votre gré conduit et maîtrisé. Ainsi, en arrive-t-il toujours et je l'ai senti en cette occasion surtout. Ce n'est pas toutefois que vos affaires me semblent définitivement amenées à mieux, mais la persévérance, la persistance de volonté, en pareille matière me paraissent presque décisives et si vous voulez opiniâtrement, vous obtiendrez. Quant à l'heureuse application de ce ferme vouloir, quant au jugement du choix, je vais de foi en vous comme pour tout le reste. Allez donc ami; suivez votre voie et gardez bien notre loi, à moi si chère, de me donner part à toute cette œuvre si intime et si personnelle pour vous. Ce que vous me dites de votre ami Ed. Guépin63 me touche beaucoup. Je l'aime tendrement et le voudrais de toute mon âme, heureux comme il m'en semble digne; il me montre aussi quelque confiance, il y a en nous des points souffrants qui s'entendent. Ce serait une grande joie pour moi que nous puissions arriver à complète sympathie; assurez-le encore de mon dévouement sans bornes; j'avais mis au bas de ma lettre mon adresse comme invitation de m'écrire encore. Dites-lui cela, il a du loisir, et lui, dans les miens, peut hardiment prendre et choisir les meilleurs. Vous me remerciez plus qu'il ne faut, cher ami; mon intimité avec le jeune C. est moins avancée que vous ne le pensez et que je ne le voudrais. L'abbé Buquet, directeur du Collège était à la campagne aux Rois, lorsque je me présentai pour faire sortir cet enfant; les autres chefs me connaissant peu n'ont point dû faire, en ma faveur, exception à cette règle qui défend de confier les élèves à toute personne du dehors qui n'est point autorisée par les parents directement et en forme. L'abbé Buquet a levé l'obstacle pour l'avenir, mais les mercredis (jour de sortie) ma femme est au dehors tout le jour pour affaires; moi à mon bureau, comment promener le pauvre enfant? Cela ne se peut. Je le vois, pour des raisons analogues, très peu à son collège. Je redoublerai de volonté pour vous complaire, s'il y a lieu, cher ami. J'ai rappelé hier à Gavard le projet de portrait par M. Ménard. Pour sa femme c'est déjà chose jugée impraticable; pour lui, il ne sait; mais du possible au réel, c'est abîme à franchir, en lui surtout. J'y compte peu. Il voyait hier une occasion de faire obtenir un travail mince et peu lucratif il est vrai, à notre ami. J'y ai poussé cependant ardemment et sa femme et lui, mais... mais la volonté, je le crains, faillira ici encore. Je verrai Marziou au plus tôt. J'étais absent lorsqu'il m'a apporté votre lettre. Je suis toujours absent. Je vois Marziou toujours et l'aime cordialement. Nous sommes, je l'espère maintenant pris l'un à l'autre par vous surtout qui nous servez de lien. N'est-ce pas ainsi entre tous vos amis? N'est-ce pas ainsi en tout? N'êtes-vous pas le maître toujours, bien qu'humble et défiant de vous, vous cherchiez en haut vos élèves, quand il les faudrait découvrir en bas. Moi, notamment, ne subsiste que de vos restes. Je me surprends à toute heure vous copiant pâlement et vis parfois quinze jours sur un mot tombé de vous, sur quelque souvenir qui me revient ou que Dieu me rend plutôt comme aliment et soutien. N'enviez donc plus les prodigues et quelques larmes dont le père les baigne au retour: fili, omnia mea tua sunt64 c'est là la part des fils aînés, la vôtre, ami; gardez-la bien. Vous prenez mal, ami, et par mauvais côté, votre retraite de la Gerbe pour cette année; ce n'est pas trahison à vos amis, ce n'est pas renier l'âme aimante et vivante en vous; c'est, ami, en recueillir un peu sur vous-même les rayons qu'on ne savait pas chez vous réfléchir, laissez faire le temps. Ne livrez pas plus de vous qu'on en peut comprendre à la fois; notre maître disait aux siens: j'aurais bien des choses encore à vous apprendre, mais l'heure n'est pas venue, vous ne sauriez me comprendre65, et il se taisait. L'heure vint pourtant. Pour vous aussi, ami, dans l'humble sphère de votre humanité, l'heure viendra, ayez patience, gardez seulement votre âme et votre cœur, gardez votre foi, votre pureté, votre ardeur, on y puisera largement quelque jour, c'est le trésor rare et qu'on ne dédaigne point. Mais si, par impossible, une part intime, la meilleure peut-être, restait ici-bas méconnue, oh! grâces en soient rendues à Dieu qui se la réserve et la garde pour lui cette part. Donnez-la lui bien vite, n'est-ce pas là le charme indicible, la secrète joie du mystique disce nesciri66 Adieu, ami, je vous aime, vous suis et vous comprends. Tout à vous de toute âme Le Prevost
M. Lacordaire est chargé officiellement par l'Archevêque des Conférences de Notre-Dame pour le Carême.67 Nous aurons aussi l'abbé Cœur. Dites cela à Ed. Guépin qui me l'avait demandé. Respects, souvenirs, amitiés autour de vous.
Mgr de Quelen |
63 Ami d'enfance de V. Pavie, lui aussi du groupe des Angevins de Paris, Edouard Guépin avait subi l'ascendant de MLP. En avril 1835, il l'écrira à V. Pavie: "Merci, mille fois merci, pour l'ami que vous m'avez donné en MLP. Quels trésors inépuisables d'amitié il possède! S'il y avait quelque chose de plus sacré que ces noms d'ami et de frère, je les lui donnerais, car il est plus que tout cela, dans l'idée la plus étendue, la plus favorable, qu'ils puissent représenter. Ce n'est pas un homme de notre temps, c'est un saint. Tous les jours, et quoi qu'il fasse pour cacher ce qu'il fait de bien et de beau, j'apprends sur lui, et quelquefois il me laisse involontairement deviner, des choses à honorer un Fénelon, un Vincent de Paul". (VLP., I, p.51). MLP. le ramènera à la foi et le soutiendra dans l'épreuve de sa maladie. (cf. Lettre 43).
64 Cf. Lc 15,31.
65 Cf. Jn 16,12.
66 Apprends à être ignoré.
67 Ce fut grâce à F. Ozanam que Mgr de Quélen offrit à Lacordaire la chaire de Notre-Dame de Paris. La première conférence aura lieu le 8 mars 1835. |
Couverture | Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText |
Best viewed with any browser at 800x600 or 768x1024 on Tablet PC IntraText® (V89) - Some rights reserved by EuloTech SRL - 1996-2008. Content in this page is licensed under a Creative Commons License |