Couverture | Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText
Jean-Léon Le Prevost
Lettres

IntraText CT - Lecture du Texte

  • Lettres 1 - 100 (1827 - 1843)
    • 88  à M. Pavie
Précédent - Suivant

Cliquer ici pour activer les liens aux concordances

88  à M. Pavie

Compassion à l'occasion de la mort du petit Joseph Pavie. Prière par Marie. Mystère et fécondité de la souffrance. "Les heures d'affliction sont choisies pour lire plus grandement aux choses de Dieu". Sa propre famille, elle aussi, est éprouvée.

 

Paris, 19 novembre 1841

Cher Victor,

Je ne sais quel instinct de tendre affection me préoccupait de vous ces jours-ci et semblait m'avertir que votre âme peinée appelait à elle ceux qui lui sont dévoués. Je ne sentais rien de précis pourtant, sinon le besoin de vous écrire, et je l'eusse fait, cher ami, quand même votre lettre ne serait pas venue avec ses tristes révélations; mais que dire à pareilles peines! Comment empêcher les entrailles de gémir? Comment tarir tant de gracieux et amers souvenirs qui reviennent sans cesse et qui remplacent les douces illusions de l'avenir? Je crains, cher ami, de ne pas savoir, même à l'aide de ma tendre sympathie pour vous, entrer assez avant dans ces profondeurs. Il y a dans votre lettre des expressions touchantes qui me sont comme une lumière sur ces puissances aimantes et douloureuses de l'âme; mais je sens que je ne suis pas, votre chère femme et vous, jusqu'à l'extrême fin: un cœur de mère a des abîmes que Dieu seul peut sonder.

Oh! puisse le Seigneur descendre bien intimement dans vos deux âmes qu'il a faites et rachetées et les toucher de sa main divine pour les consoler et les guérir. Oui, cher ami, je lui ai fait cette prière et comme aujourd'hui est un jour de Marie, veille d'un autre jour dédié aussi à sa mémoire, j'ai prié par Marie, mère aussi, que le glaive qui vous perce manifestât au Seigneur tout l'amour, toute la résignation de votre sacrifice et le rendit précieux devant lui. Dans les heures de pieuses effusions vous avez dit souvent: "O Dieu, que vous rendrons-nous, qu'y a-t-il en nous de cher et d'intime, fût-ce au fond de nos entrailles, que nous ne vous offrions" et le Seigneur a tendu la main, il a pris le don offert. Ne le regrettez pas, cher ami, il l'a pris pour lui, c'est-à-dire pour l'éternel bonheur. Que ne peut-il prendre encore tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, car la vie est en lui et nous cherchons la vie, car il est l'amour et nos âmes ne soupirent qu'après l'amour. Le doux ange le sait maintenant: qu'il le révèle à ceux qu'il a quittés, qu'il plane sur vous et soit comme l'ange gardien de votre foyer, qu'il le rende encore plus saint et vous fasse aspirer au ciel qui est sa demeure à lui et où ses douces caresses vous attendent.

C'est ainsi que vous prenez, je le vois bien, cet acte de la volonté divine; c'est un pas de plus, dites-vous; oui, toute souffrance, toute douleur est un pas. On se traîne, on ne marche pas autrement. Mais dans cette voie, après quelques degrés franchis, l'œil s'ouvre et plonge dans l'immense vérité, le mystère de la croix révèle sa sublimité et l'âme entre en possession du bonheur promis. "Bienheureux ceux qui pleurent", oui, bienheureux de la joie du sacrifice, de la joie du dépouillement, de l'amour soumis et dévoué qui s'immole à ce qu'il aime et le glorifie en abîmant tout en lui.

Les heures d'affliction sont bien choisies pour lire plus grandement aux choses de Dieu. Permettez-moi, cher ami, de vous conseiller pour lecture intime un livre qui m'a été enseigné à moi-même par un homme grave et saint, et dont, je crois, la substance vous ira bien. C'est l'Intérieur de Jésus et de Marie par le P. Grou. Ce titre n'est guère attrayant, mais ne vous y arrêtez pas. Je vous connais mal, ou cette pure et sainte contemplation de l'âme du divin Maître vous conviendra. Pour abréger, je vais passer chez le libraire et le charger de remettre un exemplaire de cet ouvrage chez M. Leclerc, avec prière de vous le faire parvenir. Acceptez, cher ami, ce mince don de votre frère affectionné.

Vous avez tant de peines, cher ami, faut-il vous dire aussi les miennes. Ma bonne et vénérée mère, âgée de près de quatre-vingts ans, est languissante; elle se remet péniblement d'une maladie et commence à se lever un peu chaque jour. Le mari de ma sœur, alité depuis quatre mois, est atteint d'une affection au cœur qui présente les caractères les plus alarmants. Ma sœur entre ma mère et son mari, faible et grêle qu'elle est, ne se couchait plus ces temps derniers. Elle veillait sur un fauteuil, allant de l'un à l'autre. En tout état de cause, une si longue interruption fait un tort irréparable à mon beau-frère, pour sa carrière, et la gêne se met dans ses affaires. L'éducation des enfants réclame des sacrifices; j'y aiderai un peu, mais je n'ai guère moi-même de fortune et de santé.

A mon tour, cher ami, je demande vos prières pour ma famille et celles aussi de votre chère amie. Ce tendre échange de prières grandira la charité entre nous et nous rapprochera de Dieu en resserrant encore nos liens. Ma femme prend une tendre part à vos peines, à celles de Mme Pavie surtout. Que ne puis-je aussi vous promettre ses prières. Oh! cher ami, je vous en conjure, demandez pour elle cette grâce qui nous pousse à prier. Respectueux souvenir à votre père, et à vous deux mes plus chères amitiés.

Votre frère en J.C.                                                       Le Prevost

 

 




Précédent - Suivant

Couverture | Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText

Best viewed with any browser at 800x600 or 768x1024 on Tablet PC
IntraText® (V89) - Some rights reserved by EuloTech SRL - 1996-2008. Content in this page is licensed under a Creative Commons License