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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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4 à M. PavieExcuses pour avoir ouvert une lettre de V. Pavie à leur ami Mazure. Visite chez les Hugo. La répulsion que lui inspirent les révolutionnaires. Il craint le retour de troubles sanglants. Sainte-Beuve et l'évolution du Globe.
Le 2 octobre 1830 Au risque, mon ami, de multiplier votre ennui par le mien, je vais essayer de vous écrire; aussi bien j'ai à vous répondre pour deux lettres; car, celle que vous adressez chez moi à M. Mazure, je viens de l'ouvrir par erreur et de ligne en ligne la faute s'est consommée jusqu'au bout. J'ai lu la lettre tout entière; j'aurais eu la mine bien attrapée si dans quelque coin, j'eusse trouvé le châtiment de mon indiscrétion; mais vous semblez avoir prévu l'aventure; il n'y est rien que d'amical et d'affectueux. Merci. M. Mazure n'aura votre lettre que dans deux ou trois jours, quelque empressement que je mette à la lui envoyer, car, au moment où je vous parle, du haut de la chaire de philosophie de Poitiers, enseignant et dogmatisant, il perd sans doute la terre de vue, erre aux nuages de l'objectif, ou redescend au subjectif. Je vais m'arranger pour qu'au retour, il trouve votre lettre sur son pupitre professoral. Vous n'avez point parcouru le Moniteur depuis huit jours. Vous y eussiez vu son exaltation. Je ne suis pas moi-même encore bien revenu de la joie que cela m'a donnée: depuis tant d'années, je le vois traînant sa vie dans une position plus précaire, n'osant s'asseoir nulle part, parce que tout à l'heure il faudra partir, qu'il me semble m'arrêter enfin avec lui et reprendre haleine après une route harassante de tristesse et de fatigue. Vous qui l'aimez comme moi, vous serez bien heureux aussi. Je le vole en vous apprenant cette bonne nouvelle, mais il vous l'apprendra une seconde fois et ainsi il n'y perdra rien. M. David10 a contribué à cet heureux résultat par son instance auprès de Cousin. J'ai encore dans ce moment une chose qui me met de la chaleur et de l'agilité dans les jambes, pour plusieurs jours. Hier, tout seul, rien qu'avec les canapés, et les chaises, et les tableaux, et les dessins, et les croquis, j'ai causé deux heures avec M. Hugo, joué avec les enfants et babillé avec Madame, et quand je suis parti, lui m'a serré la main; elle s'est levée et m'a fait de ces naïves et gauches révérences qui m'enchantent, qu'elle seule et Mme Malibran savent faire comme cela et qui pour moi contiennent toutes les idées, tous les mondes que Vestris11 voyait dans les profondeurs d'un pas de danse. Mon ami, ne suis-je pas heureux? J'aurais honte, mon ami, de montrer tant de légèreté en face de nos graves événements, si pour ne pas y laisser un beau jour sa tête, il n'y avait nécessité de la promener de temps en temps ailleurs. La promenade, il est vrai, je la fais bien loin ici, à des temps de libre insouciance, d'impressions capricieuses et qui se perdent à tous les fils d'araignées, mais il s'est fait chez nous depuis quelques jours tant de tapage qu'il fallait aller bien loin aussi pour ne plus entendre ces hurlements d'égorgeurs, pour ne plus voir à la lueur des torches ces hideuses figures avec leurs bonnets pendants et leurs bras nus retroussés. Tout cela est passé maintenant et nous voilà tranquilles, sera-ce long? C'est ce qu'il faut voir. Les quatre hommes misérables qui sont aux Tours de Vincennes12 doivent avoir d'horribles jours. Vous ne vous figurez pas, mon ami, comme ces redoutes sont imposantes en ce moment, elles ont l'air gonflées de troubles, de factions, de guerre, de vengeance: quand leur sein s'ouvrira, gare à nous, la France sera leur proie. En attendant, eux, les quatre, tout le monde les abandonne, tout le monde dit qu'il faut qu'ils meurent: oh! si j'étais éloquent, si ma pensée savait se faire jour, il me semble qu'ils ne mourraient pas, car, quelque chose me dit bien haut qu'un aveuglement fatal est presque tout leur crime et que la mort pour l'erreur, quelque funeste qu'elle soit, c'est trop de tout. Mais je le crains bien, nous aussi, comme nos pères, nous aurons des souvenirs sanglants; et ceux qui resteront les conteront paisibles ou n'y trouveront qu'une émotion poétique ou littéraire, comme on le faisait tous les jours pour nous, à même les temps passés; n'est-ce pas triste à penser; toujours des hommes jouant avec des os et des têtes de morts; que leur sert? Les morts ne leur disant rien, ils ne savent pas les faire parler, ou, s'ils parlent, les événements parlent plus haut: Hamlet a beau errer au cimetière, ne faut-il pas toujours qu'il tue sa mère et meure après, lui-même assassiné. Il y a de quoi, n'est-ce pas, croire à la fatalité. Il reste, il est vrai, plus haut que tout cela, un oracle à interroger mais qui donc y songe? Ceux qui le voudraient parfois comme moi, ne l'osent plus. Tout cela m'attriste souvent. M. Hugo m'a conté l'affaire de Sainte-Beuve et vous, vous la racontez à M. Mazure; pour dire vrai le Globe me paraissait bien immodéré en politique depuis quelque temps, la littérature et les arts y sont abandonnés je ne sais à quelles mains; il m'irritait. Je m'en étais détaché; mais depuis que je sais que Sainte-Beuve le dirige, moitié conversion, moitié espoir pour un meilleur avenir, je me reprends à l'aimer; peut-être même cette circonstance petit à petit modifiera mon opinion; je m'avoue tout cela et le trouve bien ridicule; mais puisque cela est pourquoi ne pas le dire à vous surtout, mon cher Victor, si généreux, si indulgent pour vos amis. Si la pièce de M. Paul13 est présentée avant votre retour, je veux, mon ami, m'inspirer de tout le dévouement que je vous ai vu montrer autrefois. J'écrirai à l'auteur et je mettrai mon zèle ou plutôt le vôtre à sa disposition. Vous pouvez donc sous ce rapport qu'en tout cas vous y serez vous-même. Je vous reverrai avec bien de la joie et aussi M. Gavard. Quel dommage que notre ami Mazure n'y sera plus: trois hommes dévoués pour vous recevoir. Je vous trouve heureux quelquefois de notre amitié, car je pense qu'on n'a des amis que lorsqu'on mérite d'en avoir. Léon
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10 Pierre-Jean David, dit David d'Angers, (1788-1856), sculpteur, ami de M. Pavie, père. Il s'occupera de Victor quand celui-ci fera ses études à Paris. (Parmi ses chefs-d'œuvre: une statue de Condé, et un monument à la gloire du général vendéen Bonchamps). MLP. fait allusion à l'une de ses interventions pour un ami commun, professeur de philosophie, M. Mazure, auprès de Victor Cousin, grand maître de l'Université. 11 Vestris, danseur italien, Mme Malibran, dite la Malibran, célèbre cantatrice française, d'origine espagnole, des années 1815-1835.
12 Quatre ministres de Charles X, dont Polignac, l'ancien chef du gouvernement, venaient d'être jetés en prison à Vincennes. Par crainte de la vindicte populaire, qui en avait fait les boucs émissaires de sa haine contre les Bourbons, ils seront transférés, le 10 décembre, au palais du Luxembourg, rue de Vaugirard, pour y être jugés. Ils furent condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement. 13 Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo. |
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