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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 301 - 400 (1855 - 1856)
    • 355  à M. Halluin
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355  à M. Halluin

MLP. l'invite à prendre une décision ferme. Ce qui a poussé MLP. à fonder l'Institut : "se placer au centre du mouvement charitable...ramener les âmes à la foi par la charité", par une famille religieuse capable de donner stabilité aux œuvres de charité, et composée d'hommes entièrement consacrés à Dieu et aux pauvres: 'l'œuvre des oeuvres". Aux réticences de M. Halluin quant au supériorat laïque, MLP. répond que rien n'est fixé définitivement. Il suivra les indications de la Providence. Le Supérieur n'est tel que "pour aimer et se dévouer plus que les autres".

 

Hyères, 16 mars 1856

Monsieur l'abbé,

Mon f. Myionnet m'a rendu compte de son voyage à Arras et des bonnes impressions qu'il en a rapportées; votre accueil affectueux, l'esprit de vos frères et de vos enfants, la conduite générale de votre œuvre, tout l'a satisfait et lui a inspiré la plus vive sympathie pour le bien qui se fait dans votre maison.

Une seule chose l'a contristé et m'afflige aussi moi-même, c'est l'indécision où vous semblez être touchant votre agrégation à notre petite famille. Les lettres de notre f. Caille m'avaient laissé penser que vous aviez pris à ce sujet des résolutions plus favorables pour nous, et j'ai vu avec regret que vous restiez encore incertain sur ce point. Permettez-moi de vous faire remarquer, Monsieur l'abbé, que le bien de votre œuvre semble exiger un sacrifice complet de votre part et que, pour assurer son avenir, vous devez demeurer parmi nous, afin de veiller encore efficacement sur vos chers enfants. Vous avez été jusqu'ici l'âme et la vie de cette institution; ce n'est pas en un jour, ni même en une année, que vous pourriez inspirer à d'autres agents votre esprit, votre tendre charité; d'ailleurs, pour les trouver bien dévoués, bien conformes à vos sentiments, il ne suffit pas qu'il soient vos amis, il faut qu'ils soient vos frères, qu'ils n'aient avec vous qu'une même pensée, une même vue, qu'ils ne fassent avec vous qu'un coeur et qu'une âme. Si vous ne tendiez qu'à vous décharger de votre œuvre, nous la confier pourrait être un moyen d'empêcher sa ruine; mais, pour l'affermir et l'accroître, pour en garder l'esprit et tous les fruits, il me semble essentiel que vous vous associiez cordialement à ceux qui s'y consacreront.

Tel est aussi le sentiment de mon f. Myionnet, dont je ne veux pas rendre ici les paroles que votre humilité trouverait trop favorables à vous et à votre œuvre, mais il conclut en exprimant vivement le désir que votre concours fraternel nous soit donné tant pour cet établissement, si nous avions à nous en occuper, que pour les autres œuvres charitables que la Providence a daigné nous confier.

Je ne sais, Monsieur l'abbé, si vous avez tourné votre attention sur la fin principale de notre Communauté et si vous avez été frappé comme nous du bien qu'elle pourrait faire en s'agrandissant. Nous avons remarqué, comme tant d'autres, que Dieu semblait vouloir, de notre temps, ramener les âmes à la foi et à la vie chrétienne par la charité; que, de toutes parts, il se faisait en ce sens un grand mouvement, que les uns donnant leur dévouement et leur activité, d'autres leurs aumônes, d'autres leurs prières, on secouait ainsi la torpeur de l'indifférence et l'on revenait à l'ordre, à l'amour du bien, à la vérité. Nous avons pensé que ce serait entrer dans les vues de Dieu que de se placer au centre de ce mouvement charitable pour le soutenir et en assurer l'effet. Des œuvres sans nombre sont créées journellement par les élans du zèle pour remédier à toutes les misères temporelles et spirituelles; mais, dès qu'on veut les asseoir solidement, leur donner des agents fidèles et constants, ils font défaut partout; l'élément le plus essentiel manque: le dévouement absolu, la consécration entière de soi-même à Dieu et à ses frères. Sans cela pourtant, il n'est pas une seule œuvre qui puisse s'affermir et subsister. A nos yeux donc, trouver des âmes généreuses et dévouées, les réunir en faisceau pour en faire un puissant instrument aux mains du Père des miséricordes, c'était la base nécessaire, c'était l'œuvre des œuvres. Nous nous sommes jetés en avant, des premiers, pour cette noble tâche et nous avons espéré qu'après nous d'autres âmes encore viendraient travailler à l'œuvre de Dieu et gagner les cœurs par la charité. Mais qui donc, Monsieur l'abbé, entendra notre appel et s'adjoindra à nous sinon ceux qui, comme vous, ont donné leur temps, leur fortune, toutes leurs sollicitudes et leur affection à de pauvres enfants dont l'âme et le corps eussent été sans eux en perdition? Si vous n'êtes pas notre frère, où en trouverons-nous? Et si rien ne vous attire à notre œuvre, qui donc aura de la sympathie pour nous? Nous marchons dans la même voie et d'un même sentiment, nous n'avons qu'un même désir et une même fin, qui nous empêcherait de nous associer et de doubler ainsi nos moyens et nos forces? Cela semble si simple et si bien selon les vues de Dieu qu'il me paraît hors de doute que des cœurs sans volonté propre et uniquement abandonnés à ses divines inspirations arriveront comme forcément à cette désirable union.

Je sens la difficulté qu'on peut trouver à s'unir ainsi complètement à une famille qu'on ne connaît encore qu'imparfaitement et dont on a entrevu à peine quelques membres. Mais, par le cœur et dans l'ordre de la charité, on voit bien des choses et l'on s'entend aisément. je crois donc, Monsieur l'abbé, que quelques rapprochements et entrevues pourront simplifier beaucoup les empêchements entre nous; aussi me fais-je une vraie fête de me rencontrer avec vous au mois de mai et gardè-je une grande espérance que, sous les auspices de la T. Ste Vierge et du bon saint Vincent, notre Père, nos cœurs pourront se comprendre et se fondre intimement.

Il est une autre objection que vous pourriez, comme prêtre, trouver dans la Constitution de notre Communauté conduite présentement par un laïc. Mais j'ose espérer qu'encore sur ce point, toute difficulté s'aplanira après que vous nous aurez vus de près. L'auteur de l'Imitation l'a dit: l'amour est une grande chose, lui seul rend léger tout ce qui est pesant. Il en est ainsi parmi nous, le Supérieur n'est tel que pour aimer et se dévouer plus que les autres; il ne gêne pas plus qu'un père ne gêne dans la famille; et, de même que dans la famille un père garde ses droits sans préjudice aucun des privilèges et du ministère saint de ses fils, s'ils sont prêtres, ainsi, chez nous, nos frères ecclésiastiques sont membres de la famille, sans nul détriment pour l'indépendance de leur saint ministère et de la profonde vénération due à leur caractère sacré. L'unique secret de cette heureuse conciliation, c'est la charité; par elle, les choses s'ordonnent et se classent sans choc et sans embarras, et l'on s'étonne journellement de ne pas trouver l'ombre d'une difficulté où l'on craignait d'en rencontrer à chaque pas. Nous n'avons, du reste, rien constitué systématiquement chez nous, la Providence a seule mis la main à l'œuvre dans notre règlement; nous pensons que l'état actuel des choses est selon ses vues et peut produire de grands avantages, mais nous ne résisterions aucunement à la volonté divine si elle se manifestait plus tard en un autre sens.

Quant à l'état présent, quelques entretiens intimes pouvant, bien mieux que toutes les correspondances, vous montrer combien il est simple dans la pratique, je pourrais, si vous le trouviez utile, inviter après Pâques quelqu'un de nos ff. ecclésiastiques à se rendre à Arras et à passer quelques jours avec vous; ce serait un membre de plus de la famille qui se rapprocherait de vous, et, j'en suis convaincu, ce serait aussi un pas de plus vers le résultat que nous désirons, quant à nous, obtenir.

Cette lettre est bien longue, Monsieur l'abbé; à Paris, je l'eusse sans doute abrégée malgré moi, mais ici mon éloignement de mes frères et de nos œuvres me laisse plus de loisir; j'en aurai fait un bon usage à mon gré, s'il en résulte un peu d'ouverture de cœur entre nous. Je le demande bien instamment à Dieu et je le prie, Monsieur l'abbé, de vous dire au fond de l'âme combien il est doux à ceux qui le servent de n'être pas seuls dans la prière et dans le travail, mais d'avoir autour de soi de vrais amis, des frères sur lesquels on compte comme sur soi-même et qui, en partageant les charges, les rendent plus légères et plus fructueuses aussi pour la gloire du Seigneur.

Je suis avec des sentiments respectueux et bien dévoués,

Monsieur l'abbé,

Votre très humble serviteur en J. et M.

Le Prevost

 

 

 




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