439  à M. Paillé

MLP. accepte l'inaction et la pénible séparation d'avec sa communauté. Aimables gronderies aux frères de Nazareth, dictées par l'affection. Commencer à aimer pour ensuite faire du bien. Patience dans la maladie.

26 décembre [1856] S^t Etienne

Bien cher ami,

J'ajoute deux mots ici, comme je le voulais, pour laisser de côté les affaires, et me mettre un moment en famille dans votre petit intérieur de Nazareth. D'abord, je gronde bien fort (c'est sitôt fait de gronder) ces frères relâchés qui oublient la réserve dont nous avons besoin pour nous et pour les autres et qui se laissent aller à des excentricités, dont je ne veux pas rire, parce que bien réellement je les trouve regrettables. je gronde, plus fort que les autres, mon bon abbé Hello qui s'expose au froid le soir, sans nulle nécessité; moins il est gros et plus je l'aime, et plus j'ai peur pour lui des accidents. Je le conjure bien instamment de se ménager; je le conjure aussi de se souvenir qu'il a fallu douze ou quinze ans pour faire de lui un homme un peu lettré, cinq ou six ans pour le préparer au sacerdoce, et des accumulations de grâces pour qu'il devînt un humble serviteur des pauvres; je sais ce que valent toutes ces richesses acquises, et, au prix cent fois de ma vie, je désire les conserver.

Je ne garderais pas bien mon sérieux en réprimandant notre f. Maignen pour ses caricatures; je l'engage pourtant à s'en tenir à cette première livraison; sa petite lettre, jointe à le vôtre, m'a certainement bien plus réjoui.

Que dirai-je à mes deux autres frères? Ils ne m'ont pas encore écrit pour ma fête, mais Noël était là qui devait bien les occuper. Je leur sais gré de penser au salut de leurs enfants avant tout; j'aurai ma revanche d'ailleurs, et je sais bien que leur cœur si affectionné ne me fera rien perdre.

Bien-aimés amis, comme il me serait dur d'être loin de vous en ce moment, pour ces belles fêtes et pour la fin de l'année et pour le nouvel an, si je ne pouvais déposer dans le Cœur du divin Jésus toutes mes tendresses, tous mes profonds dévouements pour vous; oui, vous embrasser, respirer un peu l'air de la famille me serait bien doux, mais puisque vous trouver en Jésus est plus sûr, plus profitable, plus chrétien, vive Jésus! je suis content ainsi et je veux son adorable volonté. C'est là présentement presque toute ma vie, puisque je vaux si peu par l'action, mais notre bon abbé Taillandier ne me l'écrivait-il pas l'an dernier: "Vous n'êtes pas sans rien faire, puisque vous faites la volonté de Dieu". Je tâche de me nourrir de ce texte et de m'en pénétrer profondément. Il en est un autre que je voyais ces jours-ci et que je goûte bien aussi: Il a plu à Dieu qu'on ne pût faire aucun bien aux hommes qu'en les aimant; c'est pourquoi, bien chers amis, je commence toujours par vous aimer de toutes les puissances de mon cœur puisque c'est la première condition de tout bien à faire; j'y joins, pour la seconde, la prière bien fidèle et des recommandations sans nombre à notre aimée Mère la S^te Vierge, au bon S^t Joseph, il est si bon! à notre Père S^t Vincent, à vos saints anges gardiens, à vos saints patrons et à tous les saints et saintes du Paradis. Puissiez-vous, durant toute cette année, vivre en leur douce et intime compagnie, et puissé-je moi-même y trouver une petite place auprès de vous.

Adieu, bien chers amis, je vous embrasse fort.

Votre ami et Père en N.S.

Le Prevost

P.S. J'ai proposé deux fois à M. Halluin de prendre le f. Loquet près de moi; il me dit qu'il va un peu mieux, je lui en reparlerai de nouveau. Hyères et Cannes ne diffèrent guère; ce n'est pas le lieu qu'il faudrait changer, mais ma poitrine.