574  à M. Halluin

L'œuvre d'Arras n'est encore ni bien solide, ni bien assise; mais Dieu achèvera ce qu'Il a lui-même commencé. Affaires immobilières. Un jeune postulant est revenu à Arras. Les liens familiaux peuvent être un danger pour les frères. Le f. Cousin songe au sacerdoce. MLP. y est favorable.

Vaugirard, 2 octobre [1858]

Saints Anges

Cher Monsieur l'abbé et fils en N.S.,

Notre cher abbé Lantiez confirme par ses entretiens tout ce que vous me dites de consolant sur votre entourage, tant pour les frères que pour les enfants; j'en bénis le Seigneur qui daigne se servir d'instruments si imparfaits et opérer le bien avec de si faibles moyens. Je ne me dissimule pas en effet, cher Monsieur l'abbé, qu'il reste encore bien à faire pour constituer notre chère œuvre d'Arras dans une situation vraiment solide et bien assise; mais nous allons pas à pas, comme il plaît au Seigneur de nous faire marcher et nous usons des moyens qu'Il daigne nous mettre sous la main, espérant de sa bonté qu'Il achèvera les choses qu'Il a commencées.

J'apprends avec plaisir les arrangements qui vous ont ménagé tout près de vous un terrain pour occuper vos enfants. Je trouve très sage aussi la pensée que vous avez de ne point faire uniquement en votre nom l'acquisition de la maison enclavée dans ce terrain, une acquisition placée sur deux ou trois têtes en forme de tontine, comme nous l'avons fait ici pour nos divers immeubles et à Amiens également, est plus sûre pour l'avenir et servira aussi à consommer de plus en plus notre union. Il ne sera pas nécessaire pour cela qu'aucun de nous se dérange, il suffira que M. votre notaire vous donne un petit modèle de procuration que je ferai remplir et signer par un ou plutôt deux de nos frères. Si votre notaire voulait un modèle de la formule de tontine que nous avons adoptée, à l'exemple de la plupart des communautés, nous pourrions le lui envoyer.

Notre f. Georges [de Lauriston] été voir M. de Bunneville à l'adresse que vous lui aviez indiquée, il ne l'y a plus trouvé; je crois qu'il est allé le voir dans la maison de santé, rue S^t Lazare, où ce monsieur s'est retiré. Comme ce bon frère est sorti en ce moment, je ne puis répondre bien précisément en quel état il l'a trouvé; s'il rentre avant que je close cette lettre, je le prierai de me renseigner plus complètement.

Nous n'avons pu empêcher Ferdinand de se rendre à Arras, une tante qu'il a, brave femme peut-être, mais qui a toujours tendu à le faire sortir de notre maison, comme elle a aussi fait tous ses efforts pour faire sortir du couvent sa sœur, cette tante, dis-je, l'attirait depuis longtemps, il voulait la rejoindre. Il m'a écrit en partant une assez bonne lettre, promettant de revenir près de nous quand il serait devenu un peu plus ferme et mieux assuré dans sa voie. Que Dieu daigne, pauvre enfant, le soutenir et le diriger!

Nous ne désespérons pas de vous voir à la retraite, mais, si vous ne voyez pas de possibilité d'y venir, ce nous serait au moins une consolation que vous fussiez à la clôture. Je ne prévois pas que j'aille vous voir cette saison, je serai tout heureux si, de votre côté, vous nous faites une petite visite.

Je crois qu'il faut dissuader affectueusement le f. Firmin [Thuillier] de sa pensée d'aller voir sa famille; c'est une véritable tentation; il convenait lui-même qu'à Amiens, le voisinage de sa mère et ses relations de famille étaient un danger pour lui; d'ailleurs, nous devons nous accoutumer à remettre aux mains de Dieu le soin de nos parents, à moins le cas où la charité et la nécessité indiquant que nous avons à agir directement.

Il me semble qu'il ne faudrait pas retirer au f. Cousin l'espérance d'entrer dans le sacerdoce, si sa santé continue à se remettre, peut-être pourrait-on, s'il passe assez bien l'hiver, s'entendre avec ces MM. du Séminaire et obtenir d'eux qu'ils lui fassent au printemps achever ses études doucement, peut-être même sans quitter la maison. Le cœur de ce bon jeune homme me semble parfait et je croirais volontiers que Dieu l'a choisi, à cause de sa simplicité et de sa pureté d'intention; quelques mots d'encouragement dans ce sens lui feraient grand bien, si vous partagez ce sentiment; il nous serait plus utile comme prêtre que comme laïc, ayant plutôt des aptitudes dans un sens que dans un autre; Dieu vous inspirera ce qui est à faire.

Une dame des amies et alliées de notre f. Georges, M^me la Comtesse de Granville, qui demeure à Nantes, dans la même maison que la famille de Lauriston, me prie de vous recommander une œuvre qui l'intéresse beaucoup et à laquelle elle donne tous ses soins. Elle consiste à obtenir que les prêtres, et surtout les communautés, s'engagent à donner chaque mois, à jour fixe, une messe en réparation des outrages faits à N.S. au T. S^t Sacrement. La plupart de MM^grs les Evêques donnent approbation à cette œuvre qui est répandue presque dans tous les diocèses, mais pas à Arras, à ce qu'il paraît. M^me de Granville espère que, par vous, elle s'y introduira. Il se dit déjà 500 messes environ par mois à cette intention; nous avons accepté ici d'en donner une par mois, trop heureux de concourir à réparer ainsi les indifférences et offenses dont notre divin Maître est l'objet.

Adieu, cher Monsieur l'abbé, j'espère vous voir bientôt; je vous embrasse ainsi que nos frères et prie les SS. Anges gardiens de veiller tendrement sur vous et sur votre maison.

Le Prevost

P.S. Le petit f. Jean-Baptiste me paraît bien jeune pour faire un surveillant de dortoir; je crois qu'il sera bien qu'il n'ait cette charge que temporairement.