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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 801 - 900 (1861 - 1863)
    • 856  à M. de Varax
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856  à M. de Varax

Comment on écrit à vingt ans. "Aspirez en Dieu pour respirer la charité, le dévouement", tel est le secret de la vie spirituelle. Chercher Dieu en renonçant aux créatures. Confidences intimes.

 

Vaugirard, 2 septembre 1862

            Bien cher ami et fils en N.S.,

            Vos chères lettres sont venues nous consoler de votre départ et prolonger un peu la joie que nous avait causée votre courte apparition; vous conversez en correspondance comme dans l'entretien de vive voix, on vous retrouve vivant dans vos lettres, parce qu'elles sont un épanchement tout simple et comme un écoulement de la source intérieure qui les suscite; c'est bien ainsi qu'on écrit à votre âge, la plume reçoit de l'abondance du cœur. Il vient un temps, il arrivera pour vous comme pour tous, où l'effusion est bien moins généreuse, la source ne coule plus que goutte à goutte et comme à regret, l'expérience en a tari les saillies et, si la charité n'y intervient, l'expansion se dessèche entièrement. Que l'âme déborde donc quand elle est jeune, qu'elle répande autour d'elle sa fécondité, c'est son privilège, elle donne si abondamment qu'elle semble ne pouvoir s'épuiser. Heureux serez-vous, cher ami, si l'inspiration étant au dedans toujours pure, les flots extérieurs coulent, aussi limpides et vivifiants. Aspirez en Dieu pour respirer la charité, le dévouement et tous les trésors de l'esprit chrétien; là est le secret de la vie spirituelle et la cause des merveilles produites par le zèle et l'amour divin.

            J'aurais dû répondre plus tôt, vous le pouvez penser au moins, à la partie de votre lettre par laquelle vous me proposez obligeamment un précepteur pour remplacer M. Marty. Nous avons cru qu'il convenait avant tout de nous informer si l'emploi était encore disponible; la famille intéressée nous a répondu qu'elle était en arrangement avec un candidat présenté d'ailleurs, qu'il était fort incertain qu'elle prît des engagements avec lui, que sous peu de jours elle donnerait une réponse définitive. Cette famille, fort honorable, habite ordinairement la Touraine et ne fait qu'à rares intervalles une apparition à Paris. Les émoluments donnés par elle au précepteur de ses enfants sont de 2.000f par an, et seraient portés ensuite à 2.500f. Les deux enfants ont 10 ans, ils sont jumeaux, ils n'ont jamais quitté la maison paternelle; si quelque réponse ayant le moindre intérêt nous parvenait, je m'empresserais de vous en informer.

            J'ai demandé hier à M. Maignen s'il vous avait écrit; il ne l'avait pas encore fait; il le regrettait vivement, le temps lui a manqué jusqu'ici; je le comprends, écrire est chose si lente, si imparfaite, si insuffisante, penser, sentir, se souvenir s'opère comme le jet de l'éclair, la plume cependant se traîne sur le papier, épelant les mots comme l'enfant qui commence à assembler les lettres; comme j'excuse ceux qui écrivent mal pour faire plus vite, comme je comprends aussi ceux qui ne trouvent pas le loisir pour un si impuissant exercice, enfin comme je suis de ceux qui en usent avec défiance et sans goût! Je veux dire ici que j'aurais mille choses à dire sur quelques points de votre lettre, sur la quatrième page en particulier où, à l'exemple de St Augustin (la comparaison n'a rien de déplaisant), vous reniez toutes choses en ce monde comme incapables de remplir votre âme et vous vous arrêtez en Dieu seul pour y demeurer et vous y reposer. Cor nostrum inquietum et irrequietum donec requiescat in Te. Dans cette voie, j'irai avec vous autant et aussi loin que vous voudrez; si une vérité me va à l'intime de l'âme et me ferait plus que toute autre entrer en contemplation extatique, c'est celle-là. Que je souhaite, bien cher ami, qu'elle vous pénètre de part en part, ou plutôt comme je me réjouis de ce qu'elle vous ait en effet si vivement saisi; c'est le signe caractéristique, c'est la marque que Dieu imprime aux siens, c'est la douce chaîne qui les attache et les unit invinciblement à Lui. Tant que cette précieuse touche demeurera en vous, soyez en paix, vous avez la meilleure part et elle ne vous sera point ôtée - si vous ne l'ôtez vous-même.

            Je voudrais bien converser avec vous longtemps, mais pour écrire en hâte ou plutôt pour achever ces lignes déjà plusieurs fois reprises, j'ai dépassé l'heure où d'ordinaire je fais une petite prière pour vous; je vous quitte pour la faire et, sous l'impression de cet entretien brisé, je tâcherai de jeter au Cœur de Dieu tout ce que j'aimerais exprimer ici. Oh! oui, bien cher enfant, parlons-nous beaucoup et souvent en Dieu, là point de lenteurs, point d'insuffisance de langage et de signes, Il voit la préparation du cœur, la pensée qui va naître, le sentiment confus qui point au fond du cœur, sans bruit de paroles. Oh! que cela est attrayant, je me tais, non, je parle encore, mais dans le sein de Dieu. Ecoutez bien, l'écho ira à votre cœur d'ami et de fils.

            Je suis bien affectueusement en J. et M.

            Votre ami et Père                                                         Le Prevost

 




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